1 million deux cent mille titres fonciers… Bon nombre en souffrance, cependant. - La propriété immobilière ne cesse de défrayer la chronique, avec des affaires d'arnaques, de double vente, de contrats mal rédigés et qui se retrouvent dans l'illégalité, quand les choses ne finissent pas devant les tribunaux… L'Etat, à travers ses institutions, tente de remédier à cet imbroglio digne de Kafka en multipliant les lois et les contrôles, mais la situation reste complexe, notamment à cause des conflits liés à l'héritage. Nous avons tenté de comprendre quelques uns de ces nombreux problèmes et ce que l'on peut affirmer, c'est que la situation est fort embarrassante… Selon un historien « la politique foncière en Tunisie est passée par trois étapes. Il y a eu l'étape précoloniale, avant le Protectorat français institué en 1881, lorsque le régime foncier de la Tunisie était régi par le droit musulman. La propriété foncière était alors régie par les traditions, avec notamment des propriétés privées, des terres collectives exploitées par les tribus qui en ont la jouissance et les terres « Habous », sortes de dons figés, immobilisés par leurs propriétaires au profit d'œuvres pieuses ou d'intérêt général. » Transfert problématique Au cours de l'époque coloniale, la propriété privée se développe, avec des colons installés sur les terres tunisiennes qui leur ont été concédées. Après l'Indépendance, une des premières actions des pouvoirs publics a été de récupérer les terres agricoles détenues par les étrangers et d'épurer les titres de propriétés immobilières et agraires, notamment avec la création des terres domaniales et la récupération des maisons d'anciens colons. Selon les dernières statistiques, près d'un million-deux-cent-mille titres fonciers sont recensés en Tunisie. Un chiffre qu'il faut relativiser car un grand nombre de titres restent gelés. Les transferts des propriétés foncières sont assez souvent opérés en dehors des voies réglementaires, avec des contrats qui ne sont pas conformes à la loi en vigueur. C'est le cas de ce jeune marié de trente deux ans qui croyait acquérir un terrain de construction dans son quartier populaire, mais qui s'est aperçu trop tard de l'arnaque. Il raconte : « le vieux monsieur à qui j'ai donné quinze -mille Dinars est un Haj, avec une barbe blanche. Nous avons signé un contrat chez quelqu'un qui s'est présenté comme un huissier notaire agréé, mais qui n'était qu'un écrivain public. En fait le terrain avait déjà été vendu plusieurs fois et de toute façon, le Haj n'avait pas de titre de propriété… ». En effet, souvent les changements de propriété ne sont même pas enregistrés et l'administration de la conservation foncière n'est informée que plusieurs années plus tard de ce type de contrats, lorsque le nouveau propriétaire tente d'enregistrer l'acte de vente. Cette situation ubuesque est cependant en train de changer, puisque de nouvelles lois ont été mises en place pour donner à chacun son dû. Une campagne de sensibilisation a été lancée dès les années 90 afin de normaliser ce circuit d'enregistrement des titres fonciers et de faciliter le transfert de propriété. En outre, et pour faciliter les procédures, le ministère de tutelle a opéré une décentralisation de ses structures avec la création de quinze directions régionales des affaires foncières. Cependant un trop grand nombre de titres fonciers n'est toujours pas apuré. Ce sont les banques qui lèvent le voile sur les anomalies, lorsqu'on les sollicite pour des prêts immobiliers. Morcellement des terres agricoles Mais c'est dans le domaine des terres agricoles que l'on constate le plus grand nombre d'anomalies. Le grand nombre d'enfants et les successions multiples n'ont fait qu'approfondir le problème. Souvent, c'est le frère aîné qui accapare les meilleures terres, la grande maison et le cheptel qui va avec. A ses frères et sœurs, il n'offre que des miettes et cela se termine souvent devant les tribunaux, lorsque ces derniers ont les moyens de les solliciter et de payer des avocats obligatoirement cher à cause de la longueur des procédures… Nous avons également découvert que les projets urbains des années 60 et 70 comportent aussi quelques anomalies. De nombreux immeubles et maisons construits à la hâte durant cette période où la Tunisie manquait de logements, n'a jamais été enregistré. C'est soit l'administration qui n'a pas finalisé cette opération, soit le propriétaire qui n'avait pas les moyens financiers d'enregistrer son bien immobilier…Ou alors les problèmes d'immatriculation et de morcellement (à chacun son titre foncier) durent longtemps. Certains citoyens nous ont signalé que même pour les lotissements de l'AFH (Agence Foncière de l'Habitat) les acquéreurs n'ont pas encore de titre foncier. Mais là il n'y a pas de risque. D'autres se sont plaints du fait que les dossiers d'apuration de certains projets de la SNIT (Société Nationale Immobilière de Tunisie) traînent encore dans les bureaux, sans trouver de solution définitive. Même situation complexe avec les projets immobiliers créés par les municipalités, les associations, et les mutuelles de certaines administrations. Dossiers traités Il faut savoir que plus de cent mille dossiers sont traités chaque année par les tribunaux immobiliers. Le taux de dossiers régularisés est en augmentation constante, mais jusque-là, seul un petit pourcentage de litiges a été résolu : moins de 10%... C'est dire la complexité des problèmes à résoudre par les tribunaux et le volume des contentieux immobiliers, toujours en nette augmentation. Et puis il y a des promoteurs immobiliers qui ne respectent pas leurs engagements envers les nouveaux propriétaires en matière de propriété individuelle, laissant la propriété régie par l'indivision, les obligeant à régulariser leur situation par leurs propres moyens et avec des procédures trop longues… Ce que l'on peut affirmer en conclusion, c'est que la culture juridique, chez les Tunisiens, reste très limitée. Trop heureux lorsqu'ils croient être tombés sur la bonne affaire, ils ne prennent pas toutes les précautions et s'engouffrent dans un gouffre sans fin, dans un labyrinthe dont nul ne connaît l'issue, un dédale infernal… Une situation qui nécessite également de la part de l'administration, davantage d'efforts en matière de diffusion de la culture juridique.