Depuis les évènements graves qui se sont produits en Tunisie, les plus récents concernant la manifestation salafiste de dimanche, le ministre de l'Intérieur observe un silence suspect, se limitant aux communiqués «officiels» voire partiels, publiés sur Internet ou envoyés aux médias. Les agissements des forces de l'ordre et du ministère de l'Intérieur semblent adopter la politique du «deux poids, deux mesures», laissant en liberté certains contrevenants à la loi qui sévissent en toute publicité ou impunité et arrêtant d'autres pour des délits mineurs. L'absence remarquée d'Ali Laârayedh est-elle un aveu d'impuissance face à un ministère difficile au sein duquel il n'a pas su s'imposer? Ou un silence complice face aux actes répréhensibles de certains courants religieux? Le dimanche 25 mars 2012, deux manifestations se produisent au même moment sur l'Avenue Habib Bourguiba, la première est culturelle et concerne des artistes venus fêter la journée du théâtre, par un spectacle en plein air, et la deuxième concernant des salafistes et islamistes venus demander l'application de la Chariâa et condamner les atteintes aux symboles du sacré. Côté salafiste, en plus de l'escalade remarquée de l'horloge, place du 14 janvier, trois faits condamnables se sont déroulés. Le premier et le plus remarqué sera l'attaque des salafistes à l'encontre des hommes et des femmes de théâtre. Selon de nombreux témoignages concordants, ces derniers se sont vus empêchés de se produire et ont dû se retrancher à l'intérieur du théâtre après avoir été agressés physiquement et verbalement, avec une présence policière minimale. Les deux autres faits concernent les appels au meurtre et à la haine. D'une part à l'encontre de Béji Caïd Essebsi et les bourguibistes en général, proférés par un haut fonctionnaire du ministère des Affaires religieuses, d'autre part à l'encontre des juifs, par un «cheikh» salafiste. Ces slogans ont été scandés à travers un matériel audio installé sur place et repris en chœur par la foule, à quelques mètres du ministère de l'Intérieur. Le jour même, le même ministère s'empresse de publier un communiqué niant les violences et assurant que le service d'ordre a permis de garantir toutes les conditions de sécurité, affirmant ainsi que la manifestation culturelle «s'est poursuivie jusqu'à 14h», heure à laquelle elle devait prendre fin et que par la suite les manifestants ont été dispersés. Pourtant, le lendemain, le ministère de la Culture a, lui-même, condamné les mêmes violences qui, selon le ministère de l'Intérieur, n'ont pas eu lieu. Concernant la tenue simultanée des deux manifestations, au même endroit, l'Intérieur affirme que la manifestation salafiste devait se dérouler entre la station TGM et la place du 14 janvier, tandis que la manifestation culturelle était prévue sur l'avenue Habib Bourguiba, devant le Théâtre municipal. La version officielle fait donc état d'individus isolés qui sont venus attaquer les artistes, sans que cela ne soit de la responsabilité des organisateurs. Revenons donc quelques semaines en arrière. Lors de la séance plénière de l'Assemblée constituante consacrée aux «questions au gouvernement» et boycottée par l'opposition, Ali Laârayedh a longuement évoqué les dérives constatées lors de la grande manifestation de l'UGTT à Tunis. Il a ainsi affirmé, alors qu'il se trouvait en déplacement à Jendouba au moment des faits, que la police a réagi légitimement aux attaques de manifestants alcoolisés, affirmant que les organisateurs, en l'occurrence l'UGTT, étaient logiquement tenus pour responsables de ces dérives. Même si la version de témoins présents sur place dément la violence supposée des manifestants, l'information principale récoltée lors de la déclaration d'Ali Laârayedh est celle de la responsabilité des organisateurs, rejetant entièrement la faute sur l'UGTT, dans ce cas précis. La politique du «deux poids, deux mesures» ne peut être mieux illustrée que dans la comparaison des deux évènements évoqués. Dans le premier cas, l'UGTT est coupable et à l'origine de la répression policière constatée. Dans le deuxième, les individus ayant attaqué les artistes n'ont aucun rapport avec les organisateurs et ces derniers ne sont donc pas tenus pour responsables. Par ailleurs, au sujet de faits vérifiables et indéniables, vidéo à l'appui, concernant les appels au meurtre des juifs et de BCE, aucune réaction d'Ali Laârayedh, principal intéressé, qui laissera les autres ministères, la présidence de la République ou encore celle de l'Assemblée, condamner pour lui. Béji Caïd Essebsi déclarera ironiquement, à ce sujet, que lorsqu'il a tenté de joindre le gouvernement pour faire état des menaces qui ont été proférées à son encontre, Ali Laârayedh (représentant le gouvernement dans ce cas précis) était absent de son ministère. D'autres faits similaires font douter de la volonté d'Ali Laârayedh et du ministère de l'Intérieur, de rétablir la sécurité, à partir du moment où il s'agit de faits imputés à des islamistes ou salafistes supposés. En effet, deux évènements regrettables et de même nature se sont produits à quelques semaines d'intervalle. Le premier est celui des violences qui se sont produites à la faculté de La Manouba, particulièrement «l'outrage» fait au drapeau tunisien. Aucune arrestation ou évolution de l'enquête n'ont été communiquées à ce jour, alors que des vidéos circulent sur les fauteurs de trouble. Le deuxième évènement est celui, plus récent, de la profanation du Coran et des mosquées vandalisées à Ben Guerdane, en plus de l'inscription de l'étoile de David sur les murs de la mosquée d'Al Fatah. Quelques jours plus tard, les coupables présumés, que ce soit à Ben Guerdane ou à Tunis, sont appréhendés. Ali Laârayedh, victime passée de la dictature, qui a connu, lui et ses proches, les geôles du ministère de l'Intérieur, premier témoin de la politique de désinformation inhérente à ce ministère, avait annoncé, dès sa prise de fonction, sa volonté d'assainir l'Intérieur des complices de l'ancien régime et de mettre un terme à ces exactions. L'affaire de la vidéo scabreuse le mettant en scène dans des positions compromettantes avec un autre détenu, a mis un terme aux déclarations de bonnes intentions du ministre concerné, une affaire qui a contribué à le fragiliser et a fortement remis en cause sa capacité à se défaire de ses démons pour contribuer à la réforme d'un secteur délicat. Aujourd'hui Ali Laârayedh reprend à son compte cette politique de désinformation, minimisant les dérives policières et discourant de manière partiale selon les coupables des exactions à considérer, et ce, pour les rares fois où il est sorti de son silence. D'aucuns diront qu'Ali Laârayedh a perdu le contrôle de son ministère, le plus difficile de tous, en cette période transitoire. Un fait à noter, néanmoins, peut laisser place au doute. Les salafistes et islamistes, depuis des semaines que la question de la Chariâa a été posée, n'ont cessé de manifester pour son application. Leur détermination semblait inébranlable. Le dimanche soir pourtant, après leur dernière démonstration, Ennahdha annonce qu'elle renonce à l'inscription de la Chariâa dans la Constitution. Depuis, cette détermination semble s'être dissipée et aucune manifestation ou dérives n'ont été constatées. Deux hypothèses sont alors possibles: soit leur détermination à appliquer la Chariâa a été surestimée et les salafistes acceptent le «jeu démocratique», soit Ennahdha tirait les ficelles et encourageait ces manifestations pour tenter de faire passer cette proposition comme une «demande populaire », selon les termes de Sahbi Atig, président du groupe parlementaire d'Ennahdha. Pendant ce temps, la TAP rapporte l'arrestation de 485 délinquants entre le 20 et 26 mars 2012. Principalement des consommateurs de drogue ou des revendeurs d'alcool. Nous apprenons ainsi, de source officielle, qu'exactement 240 canettes de bière et 100 bouteilles de vin ont été saisies. De quoi rassurer les Tunisiens !