La guerre froide opposant le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie au pouvoir risque de s'achever dans les tous prochains jours. Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, n'a laissé que peu d'ambiguïté quant au maintien de Mustapha Kamel Nabli à la tête de l'Institut d'émission. Le problème de l'indépendance de la BCT et la polémique qui s'en suivrait ? Ce n'est pas quelque chose dont M. Jebali s'embarrasserait longtemps, vu les problématiques que pose à la troïka le maintien de M. Nabli à son poste. Comme le gendarme posté sur un carrefour, le gouverneur de la BCT est là pour empêcher le gouvernement de griller le feu rouge. Mais quand vous avez une course à gagner, vous prenez le risque d'être verbalisé et, même, de subir ensuite un accident. Par sa rigueur, par sa fermeté, par son caractère très spécial, Mustapha Kamel Nabli a réussi, en moins d'un an, à se mettre à dos le gouvernement et ses alliés. Sans parler de certains PDG de banques qui ne voient pas d'un mauvais œil son départ. Une fois que l'on a décidé de ne plus respecter le gendarme du carrefour, on met son sort entre les mains du Destin. Il faudrait donc prier le Bon Dieu pour qu'il n'y ait pas d'accident au croisement et que le gendarme « oublie » d'envoyer votre immatriculation aux services des procès verbaux. Un jour, Hamadi Jebali a déclaré « Dieu protégera nos enfants en Syrie ». S'il limoge le gouverneur de la BCT et nomme l'un des siens, il devrait nous faire sortir la même prière. La Tunisie risque tout simplement de fonctionner en mode « Inchallah », à l'instar du Soudan, de la Somalie ou de l'Afghanistan. Le reste du monde, cependant, ne fonctionne pas ainsi. Si l'institution monétaire se trouve entre les mains d'un gouvernement qui a de multiples échéances à tenir, il n'y a pas 36.000 prévisions à faire : la planche à billets restera l'unique planche de salut pour sauver les prochaines élections. Le temps presse, puisque ces élections sont fixées aux alentours du 20 mars 2013. Il faut donc séduire les électeurs d'ici là et imprimer un maximum de billets pour augmenter les salaires, indemniser les victimes et recruter les chômeurs. L'inflation qu'auront causée la dévaluation du dinar et la planche à billets ? Elle ne se fera pas vraiment ressentir d'ici les élections. Ensuite, on verra, Dieu nous trouvera des solutions. Pour le moment, carpe diem. L'adage dit « qui vole un œuf vole un bœuf » et il est fort à douter qu'un gouvernement ayant goûté aux délices de la planche à billets puisse s'en priver ensuite. On pourra m'accuser de faire, là, un procès d'intention au gouvernement. Soit. Mais comment expliquer autrement ce qui se passe ? La seule et unique chose que les observateurs voient, c'est cette volonté, très mal dissimulée, de faire main basse sur les principales institutions du pays afin d'asseoir son pouvoir et d'élargir son électorat. Hier, c'était le PDG de l'INS. Aujourd'hui, c'est le gouverneur de la BCT. Demain, ça va être le tour du président de la Cour des comptes. Tout le reste (magistrats, médias, banques…) suivra de la manière la plus naturelle. Le gouvernement a-t-il sorti une seule excuse pour justifier son désir de limoger le gouverneur de la Banque centrale ? Aucune ! A t-il sorti un seul argument pour justifier le limogeage de l'ancien PDG de l'INS ? Aucun ! On a longtemps laissé entendre que Mustapha Kamel Nabli est en accointance avec Kamel Letaïef et qu'il a des visées politiques déterminées. Mais concrètement, qu'a-t-il fait ? On ne le voit pas dans des meetings populaires (comme certains) et on ne lui a entendu aucune critique politique du gouvernement (comme d'autres). Le limoger, c'est tout simplement lui offrir l'occasion d'avoir les mains libres et de ne plus respecter son obligation de réserve. Une obligation peu observée, du reste, par plusieurs membres de la troïka. On verra par la suite si M. Nabli a un poids politique et ce qu'il en fera. Seulement, ce n'est pas de Mustapha Kamel Nabli qu'il s'agit, ce n'est qu'un détail, mais du poste de gouverneur de la BCT et de son indépendance. Si le gouvernement entend respecter cette indépendance, c'est qu'il va continuer à affronter les mêmes problèmes avec le successeur de M. Nabli. Cette institution exige de la rigueur et de la fermeté dans sa gestion. Si le gouvernement n'entend pas respecter cette indépendance, c'est la porte grande ouverte à l'inflation et à tous les écarts. Il pourra augmenter les salaires et gagner les élections, mais le pays connaîtra une inflation sans pareille et prendra le risque que le dinar devienne une monnaie de singe. Pour le moment, et selon les échos parvenus, toutes les personnes à qui on a proposé le poste de gouverneur, ont décliné l'offre. Ces éventuels gouverneurs savent parfaitement que s'ils exigent leur indépendance, ils vont devoir rencontrer les mêmes problèmes que M. Nabli. Ils n'entendent donc pas se mettre à dos le gouvernement. Et ils savent parfaitement que s'ils venaient à accepter de se soumettre aux caprices gouvernementaux, ils vont traîner leur pays dans une spirale infernale. Ils n'entendent donc pas se mettre sur la conscience une telle accusation qui salira leur réputation à l'échelle nationale et internationale. Ennahdha veut gagner les prochaines élections, c'est légitime. Le parti islamiste peut continuer à surfer sur la fibre religieuse et les promesses fantaisistes, ça marche pour convaincre les masses. Mais ces masses ne peuvent pas se faire tromper plusieurs fois. Un jour ou l'autre, il faut bien leur offrir du concret. Et le concret ne se gagne ni avec les belles paroles, ni avec la tricherie et encore moins avec la spiritualité. Il y a des règles de bonne gouvernance à suivre et à respecter et, parmi ces règles, l'indépendance, le professionnalisme, la neutralité et la crédibilité de certaines institutions dont l'INS, la BCT, la Cour des comptes, la magistrature, les médias, l'Instance chargée des élections et l'administration publique en général.