Chedly Ayari, gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, l'a clairement dit : « il n'existe aucun plan de développement économique, une première en Tunisie depuis 1960. Le gouvernement en est réduit à naviguer à vue. » A l'heure où la quasi-totalité des indicateurs sont au rouge, au mieux à l'orange, le gouvernement de la Troïka farci par des compétences « irréfragables », se risque à ne pas confectionner un plan de développement qui serait à même de redresser l'économie nationale. Non pas forcément dans toute sa splendeur, car nous savons pertinemment que cela prendra des années et en ce cas, valait-il mieux être, plutôt, réalistes, surtout que les gouvernants actuels n'ont eu de cesse de reprocher à l'ancien régime de gangrener, des années durant, le tissu économique. Et qu'à ce titre, il ne fallait pas s'étonner du paysage fortement morose qui caractérise l'économie tunisienne dans ses états des lieux présents. D'accord, nous achetons. Seulement voilà, il y a des indicateurs qui ne trompent pas. A titre d'exemple, la Tunisie a reculé de deux places dans le classement de l'agence Transparency International pour ce qui est de l'indice de perception de la corruption. Et ce n'est pas tout. Le taux d'inflation vient de frôler au titre du mois de décembre 2012, les 6%. Alarmiste, oui nous en convenons. Mais cela n'est pas l'avis du ministre des Finances et du Tourisme Elyès Fakhfakh qui déclare ce chiffre non inquiétant, surtout en raison de la révolution qu'a connue la Tunisie. Sachant que le taux d'inflation ne cesse de grimper : 5,5% en novembre 2012 et 5,3% en octobre, il y a de fortes raisons de se faire un sang d'encre. Tout le monde convient que nous sommes en période transitoire, mais les gouvernants de la Troïka exploitent ce fait et ne se lassent pas de nous livrer ce discours afin que le peuple prenne son mal en patience. Alors voici le topo : d'un côté, les indicateurs économiques, dans leur majorité écrasante, empruntent une courbe descendante, voire même glissante. Les agences de notation à l'instar de Fitch Rating, Standard and Poor's ainsi que Moody's traduisent, à travers leur notation de la Tunisie, une situation qui n'en finit pas de se dégrader. Preuves à l'appui : Fitch Rating invoque les «troubles sociaux et les tensions politiques persistantes» en vue d'abaisser la note de la Tunisie en devises étrangères à long terme à BB+, Standard and Poor's a, de même, abaissé de deux crans la note de la dette à long terme de la Tunisie à « BB » avec perspective stable en jugeant le gouvernement tunisien incapable de redresser l'économie tunisienne. Et quant à Moody's, qui vient à peine de se prononcer, elle rassure, avec réserve cependant, les capitaux étrangers en maintenant la note à Baa3 d'investissement de la Tunisie. Bien sûr, les notes obtenues par la Tunisie ne constituent pas l'unique témoignage de la dégradation de la situation économique. Dans le quotidien le plus simple, un citoyen lambda vous dira toute sa frustration de ne pouvoir accéder à un emploi, de ne pouvoir remplir son couffin, de ne pouvoir honorer ses dettes les plus banales, et il vous dira surtout que la liberté d'expression, acquise après la révolution et que le gouvernement ne cesse de s'en servir à tout va telle une rengaine, ne l'aidera sûrement pas à subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Et puis, il y a les affaires de malversations qui continuent à ressortir même si nous rayonnons sous les lumières d'un gouvernement légitime. La plus célèbre étant celle connue sous le nom de « Sheratongate » dans laquelle le ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, gendre du leader du parti Ennahdha Rached Ghannouchi, est accusé d'avoir usé de l'argent du contribuable mais aussi de profiter de dons accordés par des étrangers (en ce cas c'est la Chine). Bien entendu, l'enquête judiciaire est encore en cours, et il serait imprudent de prononcer des jugements hâtifs, mais les présomptions et les doutes sont là. Un autre indicateur qui mérite bien l'attention : le déficit budgétaire de l'Etat. Ce dernier n'a pas échappé à la vague de détérioration et a subi une sacrée chute en lisant les 7,4% en 2012. Le FMI (Fonds Monétaire International) tend une perche à la Tunisie par le biais de recettes pour l'année 2013 dans une tentative de sortir de la récession. Seraient-elles magiques ces solutions ? En tous cas, il s'agit, notamment, de limiter le déficit budgétaire à 7,3% et pour ce faire, l'Etat tunisien devra piocher la « modique » somme de 4,3 milliards de dollars de ressources additionnelles. De l'autre côté, les autorités gouvernementales préfèrent se la jouer cool, et nous refilent des pilules calmantes, du genre : « il est vrai que nous passons par un cap difficile, pénible et délicat et cela est dû à la période de transition, il faut se montrer patient et compréhensif et faire des sacrifices pour le bien de tout le pays et l'intérêt de l'économie nationale ». Le gouvernement prendrait-il le citoyen pour un naïf à qui il peut lui vendre des théories à deux sous pour éviter de rendre des comptes ? Parce que c'est facile de réclamer des sacrifices à ceux qui peinent à clore leurs fins du mois, lorsqu'on œuvre à faire voter des primes pour les députés de l'Assemblée nationale constituante : le peuple paie, les députés profitent et le résultat n'est pas garanti. Et cela n'est qu'une goutte infime dans l'océan des dépassements et des aberrations de tous genres qui deviennent un réel fibrome, qui pourrait être encore plus incurable que celui engendré par l'ancien régime. Nous voulons bien croire au bon vouloir du gouvernement en place en matière de développement économique, mais lorsqu'on sait qu'il n'existe même pas un plan de développement, sur quelle base allons-nous accorder notre confiance à ces dirigeants ? Les bonnes intentions ne valent rien en termes économiques.