Alors que, le tribunal administratif vient de geler la nouvelle structure de l'Instance Supérieure Indépendante pour les élections (ISIE), et dans un moment où la loi électorale tarde à être débattue à l'ANC et que les dates des prochaines élections restent incertaines, on reparle intensément des dernières élections et notamment de l'ISIE qui avait supervisé la préparation et l'organisation premières élections qualifiées, par tous, de neutres, libres et démocratiques. Ces deux derniers jours, la gestion au sein de l'ISIE est devenue d'actualité plus que jamais. Pourtant, sa mission s'est achevée quasiment totalement avec l'annonce des résultats des élections tenues le 23 octobre 2011. Pourquoi donc remonte-t-elle à la surface précisément maintenant? Tout a commencé par l'organisation de la Cour des Comptes en date du 23 mai courant d'une conférence de presse afin de présenter les résultats de son rapport sur le contrôle de l'ISIE. Lors de cette conférence, le premier président de la Cour des comptes, Abdelkader Zgolli, pendant près de quarante longues minutes, s'est contenté d'expliquer le cadre juridique, les textes de lois et les difficultés qui ont entravé le travail de la Cour des comptes. Il a, dans ce contexte, surtout insisté sur "l'indépendance et l'impartialité de la Cour ". Il a, à plusieurs reprises, mentionné l'absence de motivation ou d'influence politique tout en évoquant une grande ambiguïté juridique existante dans la législation électorale et relative à ce genre de mission. Sauf que, dans la présentation faite par les conférenciers, membres de la Cour des comptes, plusieurs "anomalies" ou insuffisances ont été mises en exergue. Par exemple, il a été précisé que l'ISIE est toujours débitrice de 7,2 millions de dinars, dont 3,5 millions dus au ministère de la Défense nationale, 1,7 million à la Trésorerie générale et 1 million pour la télévision nationale. D'autres exemples, cités, concernent essentiellement une mauvaise gestion des ressources humaines, des primes servies indûment, une accumulation de salaires, des emplois fictifs, des cumuls de tâches incompatibles … En dépit de la longue introduction pour justifier la difficulté de la mission de la Cour des comptes et en dépit de l'utilisation d'euphémismes comme "anomalies ou insuffisances" au lieu de "fautes", ou "infractions" ou encore "malversations", le message de cette Cour reste accusateur à l'encontre de l'ISIE, plus particulièrement, de ses dirigeants. Kamel Jendoubi a donc décidé, de son côté, de s'adresser à l'opinion publique avec l'organisation d'une conférence de presse vendredi 24 mai 2013, au lendemain de celle de la Cour des comptes, s'accordant ainsi lui-même son "droit de réponse". M. Jendoubi était visiblement estomaqué, voire écœuré et il l'exprimait très clairement. Il a commencé par poser plusieurs interrogations: "Pourquoi organiser une conférence de presse sur un rapport qui n'a pas encore été publié au JORT, comme l'exige la loi ? Pourquoi parler d'insuffisances sans en préciser la nature, ni l'origine? Pourquoi la Cour des comptes n'a-t-elle pas choisi une méthodologie claire? Sur quelle base a-t-on choisi les exemples cités, si l'on sait que presque personne n'a encore eu connaissance du rapport à part les trois présidents? Ainsi, Kamel Jendoubi ne mâche pas ses mots pour mettre en doute la légalité du travail de cette Cour et également de mettre en cause son indépendance. M. Jendoubi a, par ailleurs, expliqué que les dernières élections étaient les premières vraies élections dans le pays, d'où le manque d'expérience. En outre, les circonstances de l'organisation des élections étaient selon M. Jendoubi très particulières et exceptionnelles pour un pays qui sortait à peine d'une révolution et tout ce que cela engendrait comme difficultés. M. Jendoubi a donc reconnu que le travail de son Instance comportait plusieurs insuffisances, qu'eux-mêmes, membres de l'ISIE avaient relevées. "On a même émis des recommandations afin d'améliorer tout le processus électoral". "Nul n'est parfait" a-t-il admis, tout en ajoutant d'une voix ferme, à trois reprises consécutives: "Les élections sont réussies!" Il a ensuite déclaré que "malheureusement, on veut se débarrasser de certaines têtes et on nous taxe d'opportunistes et de comploteurs!". Ensuite M. Jendoubi a affirmé : "L'ISIE est la première institution à avoir réussi sa mission. Rappelez-vous, au départ on nous a accusés de fraude. Certains ont même menacé d'envahir la rue si jamais les élections n'aboutissent pas aux résultats qu'ils veulent", faisant ainsi allusion aux propos du leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, lors de la période pré électorale. Il a poursuivi pour dénoncer une mentalité de "tous pourris" dont ont fait preuve certaines parties, selon ses propres termes. Tout en rappelant la fuite médiatique de certaines infos en novembre 2012, concernant la mission de l'ISIE, Kamel Jendoubi a précisé qu'en dépit de la vague de dénonciation de cette fuite par la Cour des comptes à l'époque, aucune enquête n'a eu lieu afin d'en délimiter les responsabilités. Pire encore, le document fuité a été mis sur la table par l'ancien chef du gouvernement Hamadi Jebali dans ses conseils ministériels. "On décèle bien une exploitation politique et médiatique. Car, ce n'est pas normal!", selon M. Jendoubi. Rappelons que le document fuité provenait de la Cour des comptes et englobait une série de remarques et insuffisances liées à la gestion des ressources de l'ISIE. Kamel Jendoubi avait d'ores et déjà, à l'époque, dénoncé "une instrumentalisation politique du document et une tentative de discréditer l'ISIE". M. Jendoubi a expliqué que l'hostilité envers son Instance est passée du stade de mise en cause au stade de l'exclusion. Il a affirmé, à ce propos, que toutes ses correspondances à l'attention du gouvernement sont restées sans réponse. Ainsi, maintenant, selon M. Jendoubi, on est passé à la vitesse supérieure avec des attaques, accusations et diffamations. "On voulait nous prendre les clés et nous chasser, on voulait qu'on parte, mais on a refusé. Pas question de partir avant la passation du flambeau à la prochaine Instance" a soutenu M. Jendoubi toujours sur un ton ferme. Ensuite, altérant avec un peu d'humour et d'ironie, il a ajouté: "Vous savez, on m'a proposé un portefeuille ministériel, mais j'ai dit non. Ensuite on m'a offert un poste d'ambassadeur que j'ai également rejeté. On a voulu me tenter mais j'ai résisté". Montant d'un cran, il a affirmé: "Il y a des microbes et des chauve-souris, qui veulent ternir mon image. Sauf qu'il se trompent, nous avons réellement fait de la résistance". Enfin, évoquant certaines données chiffrées du rapport de la Cour des comptes, Kamel Jendoubi a déclaré que le "solde soi-disant débiteur" de l'ISIE est la résultant tout simplement d'une mauvaise estimation anticipée des dépenses et non un dépassement de budget. Il a ajouté que "le coût total de ces élections, aboutit à la somme de 6 dinars (soit 3 euros) par électeur, ce qui est considéré comme dérisoire et impossible à réaliser en Europe par exemple". M. Jendoubi a également mentionné que le budget des élections ne dépasse pas le taux de 0,2% du budget total de l'Etat, et d'ajouter: "Est-ce trop pour ce qu'on a eu comme élections?".