Le président du bloc d'Ennahdha à l'Assemblée nationale constituante, Sahbi Atig, s'est permis le triste luxe de menacer de mort, en public, ceux qui se permettent de piétiner la légitimité et ce, lors du meeting organisé samedi 13 juillet par le mouvement islamiste pour défendre la légitimité en Tunisie et en Egypte. Lui-même et plusieurs membres de la direction d'Ennahdha ont essayé ensuite de tempérer ces propos. La polémique risque de durer encore, alors que la scène politique est accaparée par les débats consacrés à l'examen du projet de la Constitution par l'Assemblée nationale constituante. Pour comprendre les développements de cette polémique, il est impératif de connaître ses tenants et ses aboutissants. Tout a commencé par des propos déplacés de Sahbi Atig pendant le meeting d'Ennahdha pour soutenir la légitimité en Egypte et, surtout, en Tunisie. Ennahdha voulait annoncer à tout le monde que la légitimité acquise par les urnes ne peut être remise en question qu'à travers les urnes. Pour faire passer ce message, Atig a utilisé des termes du genre « youstabahou », équivalent à un appel au lynchage, à l'adresse de ceux qui veulent porter atteinte à cette légitimité acquise dans les élections. Suite à ces propos, certes dangereux et dénotant d'un esprit très loin de la démocratie, les débats se sont déplacés de l'imminence des élections à la manière de châtier Sahbi Atig, surtout qu'il s'agit d'un membre de l'ANC et qu'il bénéficie d'une immunité parlementaire. La vice-présidente de l'ANC est intervenue sur les médias pour recadrer les propos. Le parti Ennahdha a publié même sur son mur des propos signifiant que ce qui a été dit par le responsable nahdhaoui est de l'ordre de l'hypothétique. « Le langage de Sahbi Atig était symbolique et figuré et une réplique au discours de la partie adverse qui théorisait sur les attaques contre la légitimité », lit-on notamment. Plusieurs partis et personnalités politiques ont publié des communiqués pour condamner ces propos et déplorer les dérapages auxquels la scène politique est parvenue. Les médias ont attrapé au vol cette nouvelle polémique et voilà Atig omniprésent sur les plateaux des radiotélévisions et sur les pages des journaux, sans oublier les réseaux sociaux, plus particulièrement celui de Facebook. Mais, personne ne s'est posé la question quant aux enjeux de l'expansion et l'éventuelle installation dans la durée de ce débat. El la question logique qui s'impose est la suivante : Qui en tire profit ? Le plus naïf des observateurs comprendrait que le débat a glissé d'une polémique sur la tenue des élections dans les plus brefs délais à une autre sur la responsabilité de Sahbi Atig et les chances de réussite d'un procès intenté contre lui. L'avocate Leila Ben Debba a déjà porté plainte car « il s'agit d'un appel au meurtre ». Le processus commence, selon elle, par la demande de levée d'immunité auprès de l'Assemblée nationale constituante. « Ce n'est pas évident », remarque-t-elle. « Il n'empêche qu'il faut entamer les procédures par principe », ajoute-t-elle. Déjà, le processus s'annonce long sans être sûr d'aboutir vu l'immunité du député d'Ennahdha. Il faut aussi comprendre que ces forces jetées dans cette bataille seraient plus utiles dans le combat pour la tenue des élections. Il est certes utile de dénoncer de tels propos violents et tombant sous le coup de la loi selon l'avis des juristes et experts en droit, mais sans tomber les méandres de la justice, longs et complexes. S'il est vrai que Atig a commis une grande gaffe, en prononçant des termes insensés, le plus grand tort d'Ennahdha, locomotive de la troïka, c'est le retard enregistré dans la rédaction de la Constitution et la fixation d'une feuille de route crédible, plus précisément d'un échéancier électoral. Tous les débats doivent verser dans ce sens. Sinon, la classe politique serait hors-jeu et ferait le jeu d'Ennahdha qui essaie de rallonger les discussions parallèles, faites pour la diversion. Sans le vouloir, l'opposition semble être tombée dans le piège, d'où la nécessité d'en sortir au plus vite de ce débat centré sur Atig et revenir à la question de l'accélération de la rédaction de la Constitution et l'établissement d'un échéancier électoral. « Si Ennahdha cherchait vraiment une solution, il aurait été plus facile de réunir les partis politiques pour fixer un calendrier électoral contraignant et le voter à l'ANC. Ceci aurait l'avantage de faire disparaitre la tension et diriger tout le monde vers l'action politique », remarque le dirigeant d'Al Joumhouri, Néji Jaloul. « Rappelez-vous en 2011. L'annonce des élections avait fait baisserabaissé toutes les tensions », insiste le politologue. « Il est donc utile de comprendre que l'unique priorité, c'est l'établissement d'un échéancier politique et électoral, en commençant par l'élection de l'ISIE. Sinon, il serait clair que l'ANC est devenue caduque et qu'on encouragerait tous les dérapages », conclut-il. Face à une telle situation, deux options s'offrent à la Tunisie pour continuer sur la voie de la transition démocratique qui s'allonge depuis le 23 octobre 2011. D'une part, il y a l'attachement à l'ANC et à une démarche constitutionnelle, aussi lente soit-elle, comme le préconise et défend Ahmed Néjib Chebbi. D'autre part, il y a ceux qui appellent à encadrer les protestataires de Tamarod pour parvenir à installer une structure souveraine, qui se substitue à l'ANC et parvienne, suite à l'acquisition d'un consensus populaire, à prendre en charge la finalisation de la Constitution et l'établissement de la logistique des élections, comme le préconisent ceux qui appellent à un Front de Salut national. Un scénario à l'égyptienne sans l'armée serait-ce possible ? Un troisième scénario de pression sur l'Assemblée serait-il efficace ? Plein de questions auxquelles la Tunisie est appelée à répondre, sans trop tarder et sans trop s'attarder sur Sahbi Atig et ses propos «incitateurs à la violence meurtrière».