Depuis le samedi 4 janvier 2014, la Tunisie vit au rythme d'un des événements les plus importants de son histoire, à savoir, le vote de la Constitution post-révolution. Polémiques, désaccords, clashes, anecdotes, étaient les maîtres mots des séances plénières consacrées à ce vote. Dés le début du vote et dès le premier article, le ton était donné avec l'apparition de divergences quant aux amendements proposés et aux interprétations à donner aux textes préservés. Les discordes et les désaccords étaient au rendez-vous, en effet, à propos des deux premiers articles qui ont été largement débattus. « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime. Cet article ne peut être révisé », ceci fut le texte intégral de l'article 1er tel qu'il a été voté. Cependant, la majorité des débats ont porté sur son interprétation plutôt que sur son contenu. L'article 2, quant à lui a consacré la primauté du droit et non celle de la Constitution, ce qui a été fortement contesté par la députée Samia Abbou. L'article 6, stipulant la responsabilité de l'Etat en tant que protecteur de la religion et du sacré, garant de la liberté de conscience tout en s'assurant de la neutralité des mosquées et des lieux de culte, a donné lieu à des prises de bec entre Azed Badi et Iyed Dahmani. Si le premier exprime sa crainte de voir certains profiter de la liberté de conscience pour faire propager d'autres croyances à l'occidentale, le second l'accuse de vouloir ramener le pays à un temps révolu où les « tribunaux inspectaient les consciences des gens ». Dans le même article, une polémique s'est déclenchée sur la place et le rôle essentiels de la famille, un député d'Ettakatol étant allé jusqu'à proposer de préciser que la « famille était fondée sur le mariage entre un homme et une femme », et ce; dans une allusion à la légalisation, dans certains pays occidentaux, du mariage entre deux personnes du même sexe. Concernant l'article 21, relatif à l'abolition de la peine capitale, il stipule que le droit à la vie est sacré et qu'il ne peut lui être porté atteinte que dans des cas extrêmes fixés par la loi, sachant que le droit à la vie vise aussi bien la peine de mort que la pratique de l'avortement. Adopté par une large majorité de 133 voix, mais sans recueillir les deux tiers, cet article est jugé comme étant assez flou dans la mesure où, selon la loi, il ouvre la voie à plusieurs interprétations, à savoir, soit maintenir le droit à l'avortement et la peine de mort, soit de les interdire tous les deux, ou encore de limiter l'un ou l'autre. Quant à l'article 33, concernant la parité en matière de représentativité des femmes au sein des assemblées élues, il a été à l'origine d'un violent clash entre la députée Karima Souid et la vice-présidente de l'ANC, Meherzia Laâbidi. L'élue francophone et représentant les Tunisiens résidents à l'étranger, a exprimé son souci de compréhension du sens de l'article et a demandé à l'adresse de la vice-présidente de lui fournir la traduction nécessaire en français. Cette demande a été rejetée par Mme Laâbidi soulignant que cette traduction n'est pas du droit de la députée invoquant pourtant l'article 90 du règlement interne qui lui garantit ce droit. Les séances de vote n'ont pas manqué de piment et autres scènes anecdotiques. On rappellera, à ce propos, l'intervention de Mabrouka Mbarek, députée CPR, qui en prenant la parole au cours de la première discussion relative à la Constitution, a indiqué qu'elle veut ressentir les émotions et les slogans de la révolution dans le texte du préambule de la constitution. Elle va jusqu'à proposer à ce que l'on invite des poètes pour écrire des textes poétiques au préambule de la constitution Un échange de « pam pam pam pam » et de « papap papap papap » entre la députée Mabrouka Mbarek et le président de l'ANC a caractérisé cette intervention, faisant ainsi le tour de la toile, et créant des avis très partagés sur la question. On mentionnera, également, l'épisode de la menace de démission du député indépendant Néji Gharsalli, adressée à la vice présidente de l'ANC, Meherzia Laâbidi, qui le supplia de renoncer à cette décision. Néji Gharsalli était furieux suite au refus de l'amendement de l'article 8, et qui stipulait l'intégration de « la discrimination positive », vu que selon lui « La discrimination positive est un droit légitime refusé ». Finalement, l'élu renonce à sa décision Un autre volet, et non des moindres, qu'il faut relever, c'est l'absence d'un nombre de députés tout au long des séances plénières consacrées au vote de la Constitution. Ceci dit, aujourd'hui, lors de la séance plénière, tant attendue d'ailleurs, et qui est consacrée à l'élection des membres de l'ISIE, il a été constaté qu'un nombre important de constituants n'y a pas assisté, puisque sur les 217 membres de l'ANC, seuls 160 sont présents. On note, également, qu'il y aurait même des membres de l'ANC qui n'ont assisté à aucune des séances de vote des articles de la Constitution. Au beau milieu de ces moments, supposés être, historiques pour les Tunisiens, des manifestations, des marches, des routes coupées ont fait le point de l'actualité ces derniers jours. Ceci nous ramène à nous interroger sur les réelles préoccupations du peuple tunisien, ses intérêts et ses priorités. Ce grand décalage, ressenti entre ce qui se déroule à l'intérieur de l'hémicycle de l'ANC et ce qui passe réellement dans les rues et les villes de la Tunisie, nous mène à dire que les questions financières et les conditions de vie, à savoir, le pouvoir d'achat, l'emploi et autre développement régional sont d'ordre primordial, voire vital pour le Tunisien qui y accorde la priorité absolue tout en se montrant, jusqu'à présent, désintéressé de la Constitution. Sarra HLAOUI