A chaque frappe des terroristes, les officiels sortent dans les médias pour multiplier les déclarations spectaculaires et dire que l'Etat est fort, qu'on va les battre etcetera, etcetera, etcetera. Au même moment, « nos » terroristes, via leurs pages «officielles », multiplient les déclarations de victoire contre le « Taghout ». Dans une guerre, il y a l'aspect tactique et logistique, mais il y a également l'aspect psychologique. Et pour ce dernier aspect, force est de constater que les terroristes marquent des points et battent à plate couture nos officiels. On a beau donner des interviews pour dire que nous sommes les plus forts, inviter des personnalités étrangères pour manifester leur sympathie et tout le toutim, il y a des signes qui ne trompent pas. Contrairement à ce qu'il prétend, et à ce qu'il doit être, l'Etat (et principalement nos forces de sécurité), paniquent face aux terroristes et quand on panique, on commet des bourdes. Cette peur des terroristes se manifeste avec des réactions visibles à l'œil nu par tout un chacun et par n'importe quel visiteur étranger de la capitale. Aujourd'hui, lundi 20 avril 2015, cinq points névralgiques de Tunis sont fermés ou partiellement fermés à la circulation automobile. Des fils barbelés et une armée de policiers entourent ces cinq points névralgiques, comme pour montrer qu'on est là et qu'on surveille bien la citadelle. Faut-il en rire ou pleurer ? Le premier de ces points est, à lui seul, très symbolique, il s'agit de l'aéroport TunisCarthage. Un aéroport, comme chacun sait, est la première chose qu'un étranger voit en arrivant dans un pays. C'est aussi la dernière chose qu'il voit et elle entretient l'image qu'il a du pays qu'il vient de visiter. Et quand cet étranger est un investisseur, on peut dire qu'on lui donne une piètre image du pays avec cette sécurité exagérée, trop exagérée, devant l'aéroport. Cela frise le ridicule. Le deuxième de ces points est tout aussi symbolique, il s'agit du ministère de l'Intérieur situé en plein centre-ville. Depuis quelques jours, on a interdit la circulation automobile devant la porte principale du ministère, c'est-à-dire une portion de l'avenue Habib Bourguiba. Le troisième point n'est pas moins symbolique que les autres, il s'agit du palais du gouvernement. Depuis plusieurs mois, la place de la Kasbah est interdite à la circulation automobile et la raison est toujours la même, sécuritaire. Les quatrième et cinquième points font rire et rappellent le célèbre dicton tunisien qui dit (selon une traduction approximative) : "بعد ما اتخذ شرا مكحلة" (« Il a acheté une arme, après la catastrophe »). Il s'agit de l'ambassade américaine aux Berges du Lac, où le grand boulevard devant la porte d'accès a été interdit à la circulation au lendemain de l'attaque de septembre 2012, et de l'Etablissement de la Radio sis au quartier Lafayette. Pour ce dernier, ce sont les rues du Koweït, de Palestine et de la Liberté qui sont fermées aux automobilistes en plus de la rue d'Irak, fermée depuis des décennies déjà. On a pris la décision de fermer ces rues après avoir découvert un plan de la radio chez un technicien de la télévision. On a donc décidé de fermer la circulation automobile, comme si cela ferait peur aux terroristes. En attendant, l'impression que donnent nos forces de l'ordre, c'est que ce sont elles qui ont peur.
Sans prétendre avoir une quelconque compétence en matière de sécurité, il y a cependant des constats à rappeler. Les terroristes du Bardo étaient des piétons. Ceux qui ont attaqué l'ambassade US étaient également des piétons. A Paris, là où on a frappé au siège de Charlie Hebdo, les terroristes étaient également des piétons. Interdire l'accès aux automobilistes n'a donc visiblement pas de sens. Les politiques nous rappellent très souvent que le terrorisme frappe partout. C'est vrai. Mais puisqu'il frappe partout, regardons aussi comment réagissent les nations développées en matière de sécurité. Paris, par exemple. La Place Beauvau, où l'on trouve le ministère français de l'Intérieur, n'est pas interdite à la circulation. Idem pour la rue du Faubourg Saint-Honoré, où se trouve le palais de l'Elysée, de la présidence française de la République. Pas plus que le siège de TF1 à Boulogne Billancourt ou la rue Anatole France, siège d'Europe 1. Quant aux aéroports d'Orly et de Roissy, ils ne sont pas moins sécurisés que Tunis-Carthage et, pourtant, il n'y a pas d'interdiction de circulation devant les portes d'entrées. Les risques de terrorisme frappent partout, mais les indispensables mesures de sécurité ne sont pas toutes pareilles. Il ne faut pas en faire trop pour être efficace, la juste mesure est suffisante. De quoi a-t-on peur avec ces quadrillages de bâtiments ? D'une voiture bélier munie d'explosifs ou d'un kamikaze ? Soit ! Mais des piquets de sécurité en béton (qui existent déjà) placés juste devant le trottoir sont suffisants. L'efficacité est la même que le quadrillage total d'un bâtiment et la mobilisation de dizaines d'agents et de véhicules qu'on pourrait exploiter ailleurs. C'est ainsi que l'on sécurise les bâtiments dans les autres pays menacés par le terrorisme comme la Tunisie.
Alors que l'on fait des actions spectaculaires d'un côté, qui congestionnent la circulation, créent des embouteillages monstres et mettent les nerfs des automobilistes à vif, on constate que des mesures de sécurité ne sont pas prises, alors qu'elles sont très simples à mettre en place. Quand vous visitez l'ambassade US, à titre exemple, vous vous devez de mettre votre téléphone portable à l'accueil. Hors de question de le faire entrer. Dans plusieurs pays développés, les ministres n'entrent pas en conseil avec leurs appareils téléphoniques, car il y a un risque sécuritaire puisqu'ils ont été utilisés dans des actes terroristes actionnés à distance aussi bien en Tunisie (Sousse) qu'à l'étranger. En Tunisie, vous pouvez même rencontrer Béji Caïd Essebsi ou Habib Essid avec un portable. Ce n'est pas l'unique faille de sécurité, bien d'autres existent dans un nombre de points stratégiques et j'en ai fait part à un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur. Pour des raisons évidentes, je ne saurai les présenter dans cet article, mais il serait bon que nos forces de l'ordre prennent en considération ces failles et se mettent dans la peau de « nos » terroristes pour pouvoir imaginer ce que ces derniers peuvent faire et, ainsi, les contrer. La Tunisie a signé des dizaines d'accords de coopération avec des pays développés et pourrait se faire aider, en matière de sécurité urbaine, par leurs compétences. Si on ne voit pas de quadrillage de bâtiments stratégiques dans ces pays développés, il n'y a pas de raison qu'il y en ait en Tunisie.
Certes, on peut toujours dire qu'en matière sécuritaire, il vaut mieux en faire trop que pas assez. Le hic, c'est que la Tunisie a actuellement besoin de donner une bonne image aux investisseurs et aux touristes. Elle a également besoin que ses citoyens éprouvent un sentiment de sécurité pour pouvoir sortir, travailler et créer de la croissance. Ce zèle sécuritaire dégage une impression de peur, incite les gens à avoir peur et n'encourage ni à l'investissement, ni même aux loisirs. Nos politiques déclarent ne pas avoir peur et nous demandent de vivre normalement, mais on voit tout le contraire dans les faits. Aujourd'hui, ce sont les terroristes qui sont contents de voir les gens se terrer chez eux et le ministère de l'Intérieur se quadriller derrière des barbelés. Dans la guerre psychologique, ce sont eux qui gagnent les batailles à ce jour et il faut que cela cesse !