Moncef Marzouki ex-président de la République et ancien militant des droits de l'Homme a intenté un procès fort médiatisé contre un groupe de journalistes tunisiens. Celui qui avait juré ses grands dieux qu'il n'intenterait aucune procédure judiciaire contre des journalistes, au nom de la défense de la liberté d'expression, semble avoir jeté ses principes aux oubliettes. Retour sur une affaire qui n'en finit pas de défrayer la chronique. L'affaire a débuté le 18 mai dernier, lorsque la HAICA convoque Hamza Belloumi après la plainte déposée par le CPR auprès de l'instance, accusant le journaliste d'avoir fabriqué la vidéo pour nuire à l'image de l'ancien président de la République. Deux jours après, la HAICA suspendait pour une semaine l'émission Le Huitième jour. La Justice s'étant saisie de l'affaire, Hamza Belloumi, Sofiène Ben Hamida, Insaf Boughdiri et Noureddine Ben Ticha sont accusés d'association de malfaiteurs par le juge d'instruction près du Tribunal de La Manouba.
On rappellera que la vidéo reprenait un discours prononcé par Moncef Marzouki au Qatar, montrant l'ex-chef de l'Etat qui évoque des potences dressées en Tunisie et des terres brûlées en Syrie. Le montage-vidéo a fait en sorte de retirer le terme « Syrie », amenant le téléspectateur à croire que Marzouki parle de terres brûlées en Tunisie. A l'époque, le montage-vidéo circulait sur les réseaux sociaux et avait créé la polémique avant même qu'il ne soit diffusé sur la chaîne El Hiwar Ettounsi. Faut-il aussi relever, qu'au-delà de la vidéo fabriquée, il était évident que Moncef Marzouki, au cours de son discours à Doha, parlait entre les lignes en citant la Syrie, faisant un parallèle ambigu entre la « révolution » syrienne et celle tunisienne…
L'affaire prend encore de l'ampleur lorsque le juge d'instruction décide d'émettre une interdiction de voyage, visant les journalistes, avant leur instruction. Une décision qui a suscité la satisfaction du camp Marzouki, allant jusqu'à se fuser pour certains, de propos revanchards à l'encontre de nos confrères. On citera entre-autres, Adnène Mansar qui s'est réjoui d'une telle nouvelle, promettant que ce cas n'est que le début d'une série…
Les concernés avaient relevé la manière étrange avec laquelle le juge a traité le dossier, prenant des décisions aléatoires, dont cette interdiction de voyage. Des déficiences au sein de l'institution judiciaire sont pointées du doigt, une justice caractérisée par la politique des deux poids deux mesures. Une décision d'interdiction de voyage, qui a vraisemblablement pour finalité de donner l'impression à l'opinion publique que les journalistes sont coupables, avant même le début de l'enquête. Il s'agit d'une violation flagrante du principe de présomption d'innocence, s'indignent nos confrères dans une lettre publiée récemment. D'autant plus que cette décision avait été prise un vendredi après-midi, sans qu'ils ne soient mis au courant, portant ainsi atteinte à leur droit de la contester. Belloumi, Boughdiri, Ben Hamida et Ben Ticha sont traités comme des criminels susceptibles de prendre la fuite et de quitter le pays !
Autre fait marquant, les journalistes ne sont pas traduits en justice sur la base des décrets-lois 115 et 116, portant organisation du secteur de l'information et conçus pour les crimes de presse, alors qu'il s'agit, sans conteste, d'une faute professionnelles qui tombe sous le coup desdits décrets-lois. Sofiène Ben Hamida avait affirmé que le ministère public refusait l'application de ces décrets-lois, en maintenant leur comparution conformément aux dispositions du Code pénal, estimant que ceci est contraire à la loi.
Mais encore, il est fort étonnant que le Tribunal de La Manouba ait été désigné pour prendre en charge l'affaire. La raison ? Les conditions du Code pénal disposent dans ce cas que le « lieu du crime », l'adresse des accusés et celle du plaignant relèvent de ce gouvernorat. Ce qui n'est pas le cas ici, puisque le plateau de l'émission est à Bizerte, aucun des accusés n'habite à La Manouba, de même pour Moncef Marzouki. Il y aurait donc vice de procédure.
Entre-temps Sami Fehri et Elyes Gharbi ont été auditionnés dans le cadre de cette même affaire. Chahrazed Akacha rédactrice en chef d'Aljarida a été convoquée par le juge d'instruction et le secrétaire général de Nidaa Tounes vient de l'être à son tour en tant que témoin. Insaf Boughdiri a été entendue aujourd'hui et les avocats de la défense ont demandé à ce que l'interdiction de voyage soit annulée. Le juge répondra à cette demande dans 4 jours. Demain, jeudi, Hamza Belloumi et Sofiène Ben Hamida seront entendus.
Tous ces éléments pourraient prouver le caractère politique que prend cette affaire, puisqu'il s'agit bel et bien d'une faute professionnelle, dans le cas contraire, la HAICA aurait transmis directement le dossier à la justice s'il s'avère qu'il ne tombe pas sous le coup des décrets-lois 115 et 116. Par ailleurs, l'urgence avec laquelle ont été prises les décisions est étonnante, quand on sait que le ministère public met du temps ou refuse de bouger dans des affaires plus importantes et délicates que celle-ci !
Il n'est pas lieu ici de contester le droit de Moncef Marzouki de saisir la justice. C'est un droit fondamental pour tous les citoyens tunisiens. Toutefois, le traitement de l'affaire par la justice et l'intention bien visible de la politiser, tout en portant atteinte aux journalistes, sont plus que douteux. Les journalistes ne doivent en aucun cas être au-dessus de la loi, mais utiliser la justice pour des objectifs personnels ou politiques est au plus haut point contestable.