A l'actualité cette semaine en Tunisie, trois scandales dans le système judiciaire, ou quatre. Cela fait longtemps que l'on n'en est plus à un scandale près par semaine. Le premier de ces scandales est l'année de prison ferme prononcée au Tribunal de première instance de Tunis contre le policier-usurpateur de l'identité du député Mabrouk Hrizi. L'affaire a créé un véritable tollé dans le pays et les accusations allaient dans tous les sens. On attendait impatiemment le procès pour en savoir davantage sur cette grave affaire, mais voilà qu'on nous surprend (car nous étions vraiment surpris) par un verdict prononcé en pleines vacances estivales. L'usurpateur a fini par être condamné tout seul. Et vu qu'il n'y aura vraisemblablement pas appel, on ne saura pas qui est derrière lui, ni ce qu'il en est des témoignages obtenus à l'époque. A titre de rappel, un membre des syndicats de police avait déclaré que l'usurpateur a été filmé par les caméras de surveillance entrant à l'ARP dans la voiture de Imed Daïmi, SG du CPR. Ce que ce dernier a farouchement et maintes fois démenti. Face aux déclarations contradictoires, et dans l'impossibilité d'accéder aux dossiers de l'instruction, les médias attendaient le procès pour se fixer. Nous déchanterons, vu que tout a quasiment été organisé en catimini. Cherche-t-on à protéger quelqu'un ?
Deuxième scandale, le rapport de la Cour des comptes relatif à l'élection présidentielle. Le rapport dévoile au public une série d'abus, plus ou moins graves, commis par des candidats. Les juges rédacteurs de ce rapport mettent noir sur blanc les noms et les lâchent en pâture devant l'opinion publique. Ces mêmes juges, et au détour d'un paragraphe, évoquent le plus grave des abus (assimilable à la haute trahison) et taisent les parties responsables de cet abus. Il s'agit de ce candidat qui a bénéficié d'un financement d'une association qui lui est proche, laquelle association a bénéficié d'un financement de deux pays étrangers. Non seulement la Cour des comptes tait les noms des responsables, mais elle oppose un argument abracadabrantesque pour justifier son silence. Ils nous disent, dans un premier temps, que l'objectif du paragraphe est d'attirer l'attention sur les dangers des vases communicants entre les associations et les partis politiques. Puis, ils affirment qu'il n'y a qu'une suspicion de financement d'une association à un candidat et non de fait avéré. Le paragraphe en question ne souffre pourtant d'aucune ambigüité, il n'est nullement mentionné de conditionnel et on cite des faits établis. Dans cette histoire, il est impératif de remettre les choses dans leur contexte et de jeter toute la lumière sur les faits. Si les leçons et les analyses des juges de la Cour des comptes sont les bienvenues, il faut que cette même cour relate d'abord les faits. Tous les faits. Elle ne peut pas donner des noms dans une partie du rapport et les taire dans d'autres parties. Elle ne peut pas dire que tel fait est plus grave que l'autre, ce n'est pas son rôle. Elle ne peut pas laisser des candidats accusés par l'opinion publique, sans les dédouaner (bien que ces derniers méritent un peu ce qui leur arrive puisqu'ils n'ont pas publié eux-mêmes leurs propres comptes pour prouver leur intégrité). En bref, et c'est ce qu'on demande depuis des années, elle se doit d'être au dessus de la mêlée et totalement transparente pour que la Justice soit gagnante. Dans cette affaire, et au-delà de la suspicion de haute trahison qui frappe l'un des candidats à la présidentielle, la justice (représentée par la Cour des comptes) ne sort pas du tout gagnante. Ni grandie.
Le scandale le plus grave de la semaine, à mon sens, est cependant celui qui frappe le Conseil du marché financier. Le CMF est une autorité publique, indépendante, qui dispose de la personnalité civile et de l'autonomie financière et est chargé de veiller à la protection de l'épargne investie en valeurs mobilières. Ce conseil, est composé d'un président et de neuf membres dont un juge de troisième degré, un conseiller au tribunal administratif et un conseiller à la Cour des comptes. Pour le commun des mortels, il s'apparente à la fois à un véritable pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. C'est dire la puissance du CMF. Quant au scandale, il s'agit de l'affaire Syphax à qui le CMF a imposé la semaine dernière une OPR. Tout simplement ! Mais comment en est-on arrivés là ? Chut, il ne faut pas en parler ! La transparence ? C'est quoi la transparence ? Tout au long de sa courte et petite existence, le CMF a multiplié les fautes dans ce dossier. Il a accepté l'introduction en bourse d'une entreprise encore naissante, violant par là la réglementation en vigueur. Il a accepté que l'entreprise ne respecte pas son business plan et son cahier des charges, sans demander des comptes. Il a accepté que l'entreprise ne publie pas ses états trimestriels, sans sévir. Ce CMF a joué, deux ans durant, la politique de « deux poids deux mesures » en exigeant d'une bonne soixante de sociétés cotées ce qu'il n'a pas exigé de Syphax. Et à la fin de tout cela, il se suffit d'une simple OPR ? Allons donc ! Dans cette affaire, et c'est pour cela que je dis que c'est la plus grave, c'est tout le système boursier qui est menacé. Il s'agit d'une faute caractérisée opérée en toute transparence devant tout le monde, sans qu'elle ne soit sujette à sanction. Non pas contre Mohamed Frikha, PDG de Syphax, qui pêche par ignorance et inexpérience, mais contre ce même CMF qui a autorisé la faute d'abord et fermé les yeux après. Quel investisseur peut, dès lors, miser sur la Tunisie, son marché et ses entreprises ? Si l'autorité censée appliquer la loi et veiller à sa bonne marche est elle-même sujette à caution ?
Dans une déclaration donnée la semaine dernière à Mosaïque FM, Raoudha Laâbidi présidente du Syndicat des magistrats tunisiens, a avoué que la « suspicion de corruption pèse sur tout le pays et non seulement dans le secteur de la justice ». De cet aveu, j'ai tiré le titre de la présente chronique, qui tomberait, sinon, sous le coup de la loi. En tant que représentante des magistrats, Mme Laâbidi sait parfaitement que sa corporation n'est pas différente des autres dans le pays et qu'elle renferme, elle aussi, son lot de corrompus. Je suis persuadé et convaincu que les juges de la Cour des comptes, du TPI ou ceux du CMF qui ont fait l'actualité de la semaine ne sont pas corrompus. Sauf que voilà, la corruption n'est pas uniquement matérielle, elle peut être également intellectuelle ou politique. Je vais citer deux cas de juges que l'opinion publique estime et considère comme étant de véritables intègres, Kalthoum Kennou et Ahmed Rahmouni. La première a été candidate à la présidentielle et le second préside une association. La première a été épinglée par la CC et on ne sait absolument rien des finances de l'organisation du second. Les deux se prononcent régulièrement sur des choses publiques et n'hésitent pas à donner leurs opinions politiques sur divers sujets et diverses personnes. Mais ils agissent à la tête du client et quand il y a des dossiers réellement explosifs qui touchent leur corporation, ils deviennent silencieux. Dès lors, comment peut-on faire confiance à ces deux magistrats s'ils ont à traiter des dossiers où certains de leurs adversaires politiques sont partie prenante ? Ne peut-on pas assimiler leur positionnement politique, quel qu'il soit, à une forme de corruption ? Le silence de l'opinion publique et du paysage politique par rapport à ces deux cas a fait que les autres magistrats se permettent certaines « libertés » dans les dossiers qu'ils ont à traiter et ce pour différentes considérations. Mais aussi nobles soient ces considérations, elles ne doivent en aucun cas se substituer à la justice. Quelles que soient ces considérations, la justice se doit d'être aveugle devant tout le monde. Ce n'est qu'avec une justice qui applique strictement la loi que l'on peut établir une véritable démocratie et que l'on peut avoir, ensuite, de la sécurité, de l'investissement et de la croissance. Ce qui s'est passé cette semaine à la CC et au CMF ne va pas du tout dans cette direction et ne reflète pas la justice d'un pays démocratique. En dépit des apparences, les conséquences des actes de la CC et du CMF sont, à mes yeux, pires que l'attentat de Sousse et tous les attentats réunis. C'est à Raoudha Laâbidi, mais également à Raoudha Karafi, Ahmed Rahmouni, Kalthoum Kennou et tout autre juge intègre attentif pour sa corporation et soucieux pour son pays, d'agir pour qu'il n'y ait plus jamais de suspicion de corruption dans le système judiciaire tunisien. Seuls les juges peuvent sauver la justice. En se taisant lors des gros scandales qui frappent leur corporation, ils ne font qu'alimenter les suspicions de corruption, que cette corruption soit matérielle, intellectuelle ou autre.