Une explosion dans un bus de la Garde présidentielle en plein cœur de Tunis. Premier bilan officiel : onze morts. Ils seraient plus de quinze, d'après diverses sources sécuritaires. Un kamikaze se serait fait exploser en empruntant le bus en question. Il s'agit là du troisième attentat d'envergure dans une zone urbaine en Tunisie, depuis le début de l'année. Il y a eu d'abord l'attentat du Bardo du 18 mars 2015 qui a fait 23 morts et 47 blessés et celui de Sousse du 26 juin qui a fait 39 morts et 39 blessés. L'attentat du mardi 24 novembre 2015 de Tunis est encore plus cynique que les deux précédents. Non seulement il est commis en plein centre ville de Tunis, à une centaine de mètres à peine du ministère de l'Intérieur, mais il vise de surcroit la Garde présidentielle, réputée être la plus performante du pays. Et ce, à un moment où la guerre contre le terrorisme bat son plein et où tout le monde est supposé être sur ses gardes. Dix jours à peine après les attentats simultanés de Paris, la Tunisie vit une nouvelle fois le cauchemar du terrorisme avec une surenchère de l'horreur. Contrairement aux deux précédents attentats de mars et de juin, où l'effet de surprise a beaucoup joué, les services de sécurité étaient prévenus de l'imminence d'une nouvelle attaque. Jusqu'à la semaine dernière, un projet d'attentat a été déjoué en plein centre ville, à l'avenue Habib Bourguiba. Un terroriste projetait un attentat et en a informé sa sœur juste avant. A la première quinzaine du mois de novembre, c'est à Sousse qu'un attentat d'envergure a été déjoué. Mais pour une attaque déjouée, combien y a-t-il en cours d'élaboration ? Dans cette guerre asymétrique, les forces de sécurité ont beau actionner tous les états d'alerte, elles ne demeurent pas moins à l'abri des bavures. Ni à l'abri des opérations isolées comme celle de la décapitation du jeune berger de 16 ans à Sidi Bouzid, le vendredi 13 novembre.
D'après les premiers éléments à notre disposition, ce serait un kamikaze qui a réussi à s'infiltrer dans le bus de la Garde présidentielle. Le bus en question est une navette qui transporte la garde vers le palais de Carthage depuis l'avenue Mohamed V, à quelques pas de la place centrale de Tunis (Place 14-Janvier, ex Place 7-Novembre, ex Place d'Afrique), juste en face de la porte principale du ministère du Tourisme et à une centaine de mètres du ministère de l'Intérieur. La navette en question stationne au même point depuis des décennies et ceci est connu par tous les Tunisois, puisque c'est à partir de ce même point de rendez-vous que partent plusieurs bus vers des excursions d'entreprises en Tunisie. Pourquoi donc n'a-t-on pas changé ses habitudes, par souci de prudence ? Une bavure ? Il est indéniable que c'en est une, mais quand on sait que les services de sécurité sont infiltrés par des éléments hostiles au pouvoir actuel et à l'Etat tout court, cela n'étonne personne.
Depuis 2011 et l'éjection par l'ancien ministre Farhat Rajhi de quelques dizaines de hauts cadres de l'Intérieur, ce ministère de souveraineté vit une effervescence indescriptible. S'en est suivie l'arrivée de l'islamiste Ali Laârayedh à sa tête qui a recruté massivement des agents, vite infiltrés dans tous les services, à l'instar de toute l'administration tunisienne. Le même Ali Laârayedh qui a été condamné jadis pour terrorisme et le même Ali Laârayedh qui a laissé fuir le terroriste le plus célèbre et le plus recherché de Tunisie, Abou Iyadh. Comme si tout cela ne suffisait pas, et sous la pression de dirigeants d'ONG, « la police politique » qui était chargée du renseignement sous l'ancien régime a été dissoute. De la haute trahison ? Depuis 2011, personne n'a été inculpé de cette grave accusation. Pire, les parties qui ont poussé vers ces décisions dramatiques bénéficient de postes de haut rang au sein de l'Etat.
Le pays paie cher sa démocratie naissante et sa révolution du 14 janvier 2011, se disent les Tunisiens qui, selon un sondage datant d'il y a quelques jours, étaient à 78,1% prêts à sacrifier un peu de liberté pour plus de sécurité. Faut-il pour autant céder à cette demande et pondre un « patriot act » à la tunisienne au risque de faire revenir le pays à ses années noires de dictature ? Médias, société civile et politiques freinent des quatre fers tout projet législatif pouvant mener à un retour en arrière. Jusqu'à quand ?