En matière de lutte anticorruption la Tunisie dispose d'une multitude d'instances, de directions, de commissions et même de ministère dédié pour en arriver à bout. Sauf qu'en Tunisie peu ou prou a été fait après la révolution pour combattre un fléau, qui on le sait tous, a gangréné tous les niveaux des institutions de l'Etat. La corruption en Tunisie est systémique, cela personne ne peut le nier. La corruption a pris de l'ampleur au cours des 5 dernières années en Tunisie, et ce sont des instances internationales en ne peut plus sérieuses qui le confirment. Comment en est-on arrivé là, alors que nous sommes plus qu'outillés à lutter contre la corruption ? Et quelles sont les impacts de la prolifération, voire de la recrudescence de ce phénomène, sur les relations de coopération économique ?
La prolifération des pratiques de la corruption durant les premières années de la révolution est imputable à l'affaiblissement notoire de l'autorité de l'Etat et la désintégration du pouvoir qui était auparavant entre les mains d'une poignée de personnes. Toutefois, ce qu'on pourrait qualifier d'alarmant, c'est la persistance du phénomène même après le parachèvement du processus de transition et la mise en place des institutions de l'Etat. La Tunisie s'est vue dotée d'une deuxième République qui peine jusque-là à mettre en place une stratégie claire pour lutter contre la corruption. D'aucuns supposent qu'il n'y aurait aucune réelle volonté pour s'attaquer de front au dossier…
Actuellement en Tunisie plusieurs structures s'intéressent pourtant à la lutte contre la corruption. Les plus récentes d'entre toutes sont : l'Instance de lutte contre la corruption, présidée par l'ancien bâtonnier, Chawki Tabib et le ministère de la Fonction publique, de la Gouvernance et de lutte contre la corruption, à sa tête Kamel Ayadi. Un ministère qui a vu le jour avec l'avènement du gouvernement Essid 2 début janvier 2016. Il y a également la Cour des comptes qui est chargée de juger la régularité des comptes établis par les comptables publics dans les différents services de l'Etat. La Cour contrôle également le bon emploi et la bonne gestion des fonds publics, y compris dans les organismes non dotés de comptables publics. Ainsi, chaque année, la Cour procède à des investigations. A l'issue de ces investigations, l'institution établit un rapport destiné au ministre concerné. Un rapport qui relève les défaillances ou les gaspillages constatés. Par ailleurs, la Cour des comptes est chargée de certifier la régularité des comptes de l'Etat et des organismes nationaux, outre le contrôle du financement des partis politiques. De larges prérogatives lui sont décernées et dans le cas où des dysfonctionnements dans l'utilisation de l'argent public sont constatés, cela doit en principe donner lieu à de poursuites. Autres mécanismes dont dispose la Tunisie : La Commission de confiscation relevant du ministère des Domaines de l'Etat, la direction de lutte contre l'évasion fiscale relevant du ministère des Finances, ou encore la Haute instance de contrôle administratif et financier, relevant de la présidence de la République… Toutes ces instances ont publié, rapports sur rapports, des études et des statistiques, ou ont tiré la sonnette d'alarmes quant aux pratiques de corruption dans les médias de la place, sans qu'on constate qu'il y ait eu suite.
La Cour des comptes avait publié son rapport consécutif aux élections de 2014 où l'on apprenait que l'un des candidats avait reçu des financements de parties étrangères. Des révélations de taille de la plus haute gravité, alors qu'on attend jusqu'à aujourd'hui qu'une instruction soit ouverte et qu'on nous révèle l'identité du candidat. En 2013, le président de la Haute instance de contrôle administratif et financier avait affirmé que de multiples défaillances et disfonctionnements ont été relevés, dont le gaspillage des deniers publics au niveau des marchés publics. Nous sommes en 2016, trois années sont passées et les mêmes propos et assertions, les mêmes propositions pour mettre en place une stratégie complète de lutte contre la corruption, sont tenus par l'une ou l'autre instance, sans qu'il n'y ait aucun résultat.
Il ne s'agit pas là de recenser les cas de corruption notoires, mais de pointer du doigt l'incapacité des différentes structures à y faire face. On s'embourbe dans une bureaucratie sans fin qui ne fait que bloquer un processus nécessaire à l'avancement de la Tunisie vers le développement et permettant d'instaurer dans le pays la transparence et la confiance nécessaires à sa relance. Une situation qui renvoie de la Tunisie une image floue.
Il faudra rappeler que le président Allemand, Joachim Gauck, avait déclaré en marge de la visite d'Etat qu'il a effectué en Tunisie que la bureaucratie administrative et la corruption peuvent nuire et constituer des obstacles pour les investissements allemands en Tunisie. M. Gauck a souligné que celles-ci impacteront d'une façon plus générale l'essor de l'économie tunisienne.
Le président du Parlement européen a tenu les mêmes propos lors de sa visite en Tunisie, insistant sur le fait que les réformes tardent à venir, notamment en matière de lutte contre la corruption. « Il faut avoir une combinaison entre ces différentes réformes – justice, administration publique, lutte contre la corruption. Les experts me disent tous que le pays est trop bureaucratique. Je vous prie de m'excuser, je sais qu'un président d'une institution européenne parlant des autres en disant que c'est trop bureaucratique, ça sonne bizarre. Mais c'est la réalité », avait-il déclaré. Martin Schulz a relevé qu'une lutte contre la corruption dans un pays qui a de la corruption a besoin d'infrastructures adéquates…
Il est donc urgent de combattre une corruption qui ronge tout le corps social en Tunisie et bien entendu tous les secteurs d'activités et les institutions publiques et privées. Partout en dénonce ce phénomène, mais en réalité ces pratiques sont bien ancrées dans le mode de vie des Tunisiens. Eradiquer la corruption, en adoptant une approche claire et bien concrète est une nécessité, alors que pour l'instant en patauge à vue d'œil. Aux autorités d'envoyer des signes forts aux investisseurs, sans quoi rien ne les encouragera à prendre des risques et miser sur la Tunisie.