Depuis l'avènement du « Printemps arabe », le baromètre mondial de la corruption dans le secteur public illustre une décadence non-négligeable au niveau de la Tunisie. Dans sa 21ème édition, publiée le 21 janvier 2016, l'Organisation non-gouvernementale, Transparency International, classe la Tunisie à la 76ème place, avec un score de 38/100, contre un score de 40/100 qui la plaçait au 79ème rang en 2014.
Maintes expertises effectuées au sein de la Banque mondiale rapportent cette régression à un « capitalisme de copinage », accusant en cela la fragilité de l'Etat. Le président de l'Instance nationale de la lutte contre la corruption, Chawki Tabib, a récemment tiré la sonnette d'alarme, en prédisant l'instauration d'un Etat mafieux en Tunisie et a insisté sur l'urgence de mettre en place une politique nationale de lutte contre la corruption.
À presque quatre mois de sa nomination, le président de l'Instance de lutte contre le terrorisme multiplie les déclarations « alarmistes ». Invité au plateau télévisé, 24/7 de Myriam Belkadhi, sur la chaîne Elhiwar Ettounsi, M. Tabib a dressé l'inventaire alarmant des obstacles, entravant l'avancement des travaux de l'Instance. Il a presque reformulé le même désarroi, énoncé par ses prédécesseurs, face au manque de soutien matériel et de volonté politique pour appuyer la cause de son organisme.
Selon une étude élaborée par des experts indépendants, l'instance doit disposer de 7.5 millions de dinars afin de mener à bien le projet de lutte contre la corruption, pour lequel elle a été créée. Un montant que le ministère des Finances n'a pas été disposé d'allouer, n'accordant que 300.000 DT. 120.000 DT sont attribués à la location des bureaux et 90.000 DT constituent, concrètement, l'investissement dans la lutte contre ce fléau.
M. Tabib a révélé que cette limitation du budget est le plus souvent accompagnée par des oppositions aux programmes proposés par son instance, de la part de tierces personnes, ce qui constitue une atteinte à l'indépendance de l'institution.
L'ancien bâtonnier a, cependant, insisté sur le consentement du chef de gouvernement et du ministre des Finances quant à l'attribution de la somme demandée, précisant que les blocages sont d'ordre bureautique, qu'il décrit "abusifs".
Chawki Tabib n'a pas manqué de rappeler que l'instance est étatique, émanant d'une volonté populaire et que son financement concerne les institutions de l'Etat. De ce fait, il lui est inconcevable de continuer à compter exclusivement sur les donations et le bénévolat de la société civile, ou sur l'appui des ambassades des pays étrangers, pour assurer la rémunération de ses employés (du plus haut cadre jusqu'aux ouvriers) et la mise en place de ses structures.
Face à l'abstention du ministère des Finances, le président de l'Instance de lutte contre la corruption s'en remet à l'arbitrage du chef du gouvernement, Habib Essid. Il affirme que son service s'engage à continuer son exercice jusqu'à l'épuisement de ses ressources et annonce l'ouverture du premier bureau régional à Sfax, au mois de mai.
En l'absence de base de données, permettant de présenter une analyse exhaustive des 1200 dossiers déposés auprès de l'Instance, M. Tabib se base sur le nombre de dossiers par département, pour identifier les secteurs les plus touchés par le fléau.
Après cinq ans du soulèvement contre la dictature, le verdict tombe : le phénomène de la corruption semble plus ancré que jamais, dans toutes les institutions publiques. Un héritage empoisonné, ancré depuis toujours et perpétué dans une atmosphère d'accusations mutuelles, opposant les parties concernées. Des moments d'inattention qui profiteraient aux acteurs de la corruption, leur permettant de s'implanter davantage… La Tunisie basculerait alors au statut d'Etat mafieux.
Le président de l'Instance de lutte contre la corruption estime à 450 milliards de dinars le coût de la « petite corruption ». 18 % de ce montant concernent les affaires publiques (principalement des pots-de-vin versés illégalement, en échange de services qui s'avèrent être des droits), le secteur de la santé touche 13 % de la somme et le reste est réparti entre le corps de la douane, les services de sécurité, la justice, les municipalités… Ce chiffre exorbitant livre à M. Tabib une preuve tangible quant à l'importance du retour sur investissement, à court et à moyen terme, en matière de lutte contre la corruption.
Le président de l'Instance a, même, mis en place des campagnes de sensibilisation, pour tenter de solliciter la conscience sociale. Dans son discours contre la corruption, il met en garde les Tunisiens contre la coexistence du trio de malversation : la corruption, le terrorisme et la contrebande.
M. Tabib, s'adresse à la conscience des citoyens patriotes, les incite à se débarrasser de l'esprit de résiliation et les encourage à dénoncer tout abus dont ils sont victimes ou témoins. Il oublie, cependant, de préciser, dans son appel, s'il existe des lois protégeant le plaignant ou l'inculpant en cas de vanité de ses accusations.
L'honnêteté et la crédibilité de M. Tabib sont au-dessus de toute équivoque, mais son refus de se prononcer sur la « grande corruption », sous prétexte que nous en sommes encore loin, pourrait laisser l'opinion publique perplexe. S'il s'agit d'un phénomène implanté en Tunisie, depuis un demi-siècle, nous sommes en présence d'un réseau infiltré dans le système et qui veillera à paralyser le développement de l'Instance.
Il se peut que l'on applique, de façon exceptionnelle, le projet de loi d'amnistie nationale, relatif aux délits économiques et financiers, proposé par le président de la République et réprimé, en partie, par l'Assemblée des Représentants du Peuple.
Le phénomène de la corruption semble s'être répandu dans maints secteurs. Un phénomène systémique donc, nécessitant des solutions urgentes sous peine de menace directe au processus qu'a pris la Tunisie et sa démocratie naissante.