La contrebande et le commerce parallèle, constituent depuis déjà bien des années un vrai fléau en Tunisie. Leur impact économique sur le pays, de plus en plus touché par une crise profonde et disons-le, grave, n'a d'égal que la satisfaction qu'ils procurent aux consommateurs à qui ils offrent des produits adaptés à leurs bourses surtout quand les fêtes les ont bien vidées. Ce cercle vicieux, rend la tâche d'en arrêter net l'hémorragie difficile et plutôt ardue. Le consommateur étant le premier à s'estimer lésé si on lui imposait d'acheter des produits locaux, qu'il n'a plus les moyens de s'offrir. A la longue cette économie parallèle plombe l'économie du pays, creuse encore plus la crise et amène avec elle les conséquences sécuritaires et économiques qu'on connait.
Personne n'a osé dire stop et n'a pris les mesures radicales qui s'imposent. On se souviendra longtemps des propos du ministre du Commerce, Mohsen Hassen, qui au moment où le débat battait son plein sur les moyens de lutte contre le commerce parallèle en Tunisie, a lancé une véritable « bombe » dans la mare. Il avait annoncé sa disposition à ouvrir le dialogue avec les plus grands contrebandiers avec l'objectif d'intégrer ceux qui le désirent au circuit officiel, notamment en les aidant par les idées de projets, le financement et la commercialisation.
Le ministre du Commerce, alors fraîchement débarqué à La Kasbah, a annoncé la création de la Commission nationale de suivi des prix, de la garantie de la périodicité de l'approvisionnement du marché et de la lutte contre la contrebande et le commerce parallèle. Une commission qui aura comme mission de combattre ce fléau et de réduire la part de l'économie parallèle, d'ici 2020, à 20%, de l'ensemble de l'économie nationale, au lieu du taux actuel dépassant plus de 50%. Il avait même précisé que les services sécuritaires et douaniers possèdent une liste bien détaillée et actualisée des acteurs majeurs dans ce domaine. M. Hassen, avait alors estimé que la lutte contre la contrebande pourrait se faire à travers, notamment, la mise en place de zones franches et l'intensification des contrôles aux points de passages frontaliers et à l'intérieur du pays.
Cette proposition, considérée comme insolite et inopportune, avait suscité un tollé de réactions qui a contraint le ministre à se raviser et « à clarifier » ses propos affirmant que ceux-ci ont été déformés et en soulignant qu'il demeure partisan d'une approche prônant la nécessité de trouver une solution globale pour lutter contre la contrebande. Une approche impliquant tous les facteurs adéquats, à savoir, ceux sécuritaires, militaires et socio-économiques.
Cette prise de position remonte à quelques mois et depuis, rien n'a vraiment changé. En nous baladant dans les villes de Tunisie, nous sommes toujours frappés par le spectacle désolant des commerçants anarchiques, qui pullulent dans les rues et qui vendent leurs produits, parfois même dangereux pour la santé, au vu et au su des autorités qui restent les bras croisés.
Un jeu du chat et de la souris s'est même mis en place entre les polices municipales et ces vendeurs qui n'ont aucune intention de quitter leurs étals. Ce jeu nous avons pu le constater à Sousse, où un souk de friperies s'est installé dans l'une des entrées de la vieille ville. Depuis des mois, le nombre de commerçants fluctue au gré des passages de la police municipale. Cette friperie avait même complètement plié marchandises pendant quelques jours avant de reprendre ses étales, doucement mais sûrement.
En ces jours d'Aïd, le phénomène est à son comble. Les rues de Tunis, de Nabeul, de Mahdia et de bien d'autres villes sont submergées de pacotille, de détritus et prennent des airs de jungle et de foire sous les yeux ahuris des habitants.
Devant l'engouement des consommateurs pour ces produits pas chers, l'Organisation de défense du consommateur (ODC) a appelé les citoyens à faire leurs achats auprès des points de vente légaux, surtout en ce qui concerne les jouets pour enfants à l'occasion d'Aïd El Fitr. Elle a rappelé que ces jouets constituent un réel danger pour les enfants étant dépourvus des normes de qualité et vendus dans les marchés parallèles qui s'approvisionnent de la contrebande et de la contrefaçon. L'ODC a souligné, à la veille des fêtes de l'Aïd, que ces marchandises qui proviennent des circuits illégaux et ne sont pas soumis au contrôle, nuisent à l'économie nationale et au commerce du pays, recommandant aux consommateurs de tenir compte des facteurs qualité et prix quand ils font leurs emplettes pour l'Aïd El Fitr, appelant à n'acheter qu'auprès des locaux respectant les conditions d'hygiène.
Si l'ODC a appelé les Tunisiens à se détourner des produits de contrebande, l'Institut national de la consommation a, pour sa part, donné quelques raisons qui peuvent expliquer la récalcitrante des consommateurs à ce sujet. En effet, l'INC a indiqué que les prix des vêtements de l'Aïd pour filles et garçons ont enregistré une hausse entre 10 et 15% par rapport à la saison précédente. Tarek Ben Jazia, directeur de l'Institut, a précisé à la TAP, que les prix des vêtements sont en hausse cette année par rapport au nombre moyen de personnes par ménage, aux dépenses du mois de Ramadan et besoins de l'Aïd El Fitr notamment en pâtisseries, jouets pour enfants et loisirs, outre la régression du pouvoir d'achat du consommateur tunisien au cours des dernières années. Le responsable a indiqué que l'enquête a révélé que les propriétaires des boutiques n'ont pas rénové la collection de vêtements et n'ont pas investi dans ce sens, ajoutant que plusieurs marques commerciales opérant sous contrats de franchise, ont présenté des produits tout juste acceptables de point de vue qualité. Tarek Ben Jazia a, par ailleurs, évoqué, toujours selon la TAP, la grande dynamique enregistrée par le commerce des vêtements de la fripe qui connaît une nette reprise pendant l'Aïd !
Tout cela nous amène à nous demander si un jour la Tunisie pourra enfin déraciner ce mal qui semble faire tant de bien à une bonne partie de ses citoyens mais qui finira, à la longue, par la mettre à genoux. Il est vrai qu'au-delà des aspects sécuritaires, économiques et sanitaires, ce commerce offre à une certaine frange de la population la possibilité de posséder des biens de consommation hors de leur portée dans les circuits réguliers. Néanmoins, une conscience collective, doit émerger pour comprendre et intégrer le fait que tout ceci n'est qu'un mirage et que le réveil sera très dur. Oui, la contrebande rend les pauvres moins pauvres ou du moins le leur fait croire, en réalité elle ne fait que creuser davantage, et de jour en jour, le fossé dans lequel ils seront les premiers à tomber. Un pays dont l'économie est sous défibrillateur ne doit pas hésiter à prendre les décisions qui font mal, qui fâchent et que nous attendons depuis des lustres, par crainte peut être de provoquer le nid de guêpes qui se cache sous ces réseaux ou par peur de heurter son peuple à qui il ne fait en réalité que plus de mal !
Myriam Ben Zineb Photos prises à Nabeul en date du 6 juillet 2016