En Tunisie, on est unanime sur les principes qui doivent fonder notre système fiscal : transparence et équité. Malheureusement, dès que des initiatives sont entreprises pour consacrer ces principes ou les renforcer, on assiste à des vagues de protestation qui fournissent une réalité autre que celle qu'on pouvait imaginer. Il serait fastidieux d'énumérer les dispositions fiscales, contenues dans les lois de finances successives de ces dernières années, qui n'ont pas été appliquées, même après leur adoption par les représentants du peuple. Il n'y a qu'à citer la mesure fiscale de la Loi de finances 2014 qui conditionnait l'octroi de l'avantage fiscal du paiement au tarif réduit de la taxe de la circulation pour les petits véhicules de transport de produits agricoles à la présentation de la carte d'identifiant fiscal du bénéficiaire. Face à la contestation, cette mesure fut retirée par le chef du gouvernement de l'époque, Ali Laârayedh, au grand dam de son ministre des Finances, Elyes Fakhfakh. On maintenait ainsi une situation proprement ahurissante : octroyer un avantage fiscal à une entité qui n'a aucune existence fiscale. Ce rappel était opportun car le transport de produits agricoles fait partie des professions non commerciales, tout comme celle des avocats, des médecins, des architectes, des experts et consultants en tout genre, etc. Tous sont dans l'obligation d'être patentés, selon le langage juridico-fiscal. Tous sont tenus d'inscrire dans tous leurs documents de correspondance leur adresse, coordonnées téléphoniques et identifiant fiscal. Or, cette règle de base, qui garantit le principe d'équité, n'est pas appliquée par certains corps de métier. Les médecins par exemple. Les avocats, eux, n'y sont pas tenus. Vis-à-vis des autres professions non commerciales expressément soumises à cette obligation, n'est-ce pas là un privilège indu qui peut exciter les tentations les plus inavouables ? Dès lors, il devient pour le moins paradoxal qu'on puisse considérer la levée d'un tel privilège comme une forme de stigmatisation. Un pays ne stigmatise pas ses élites lorsqu'il les invite au devoir d'équité. Il ne stigmatise pas ses élites, avocats, médecins ou toutes autres professions libérales lorsqu'il rappelle au devoir ou plutôt à l'exemplarité de transparence qui sied à leur statut. Il ne convient aucunement d'accommoder l'exigence de transparence à un sombre a priori. Et quand bien même cela le serait-il, rien n'est plus judicieux que d'en administrer le contraire, de démontrer sa bonne foi et participer de la sorte à isoler le bon grain de l'ivraie.
L'équité et la transparence, c'est pour les autres ?
De ce point de vue, la ruée dans les brancards des avocats contre la création d'un timbre fiscal sur chaque dossier justiciable est manifestement stupéfiante. Elle l'est d'autant plus qu'on les exonère, en contrepartie, de l'obligation du versement des acomptes provisionnels, auquel sont soumis toutes les professions non commerciales. Un timbre fiscal dont rien ne prouvera qu'il sera exclusivement supporté par l'avocat comme le stipule l'article 31 du projet de loi de finances 2014 alors même qu'il sera déductible de l'impôt.
La réponse des avocats à une telle mesure - une grève générale et la démission du ministre des Finances - est disproportionnée, loin de l'esprit de mesure et de sagesse devant guider cette confrérie. En tout cas, elle n'a pas manqué de faire naître des velléités de contestation dans d'autres corps de métier, chez les médecins qui refusent d'inscrire leur identifiant fiscal, des pharmaciens, suivis par les grossistes-répartiteurs qui refusent l'introduction d'une TVA sur certains produits pharmaceutiques importés, les taxistes qui revendiquent d'abaisser la valeur des contraventions et des amendes qui leur sont imposées.
A ce stade, il deviendrait logique que l'on refuse la création d'une police fiscale, la levée du secret bancaire, l'estimation du revenu par le train de vie et qu'on défende par ailleurs la réconciliation économique et l'amnistie de change.
Cela étant, c'est aux élus du peuple que reviendra la décision de trancher. Leur responsabilité est considérable pour balayer cette image et cette cacophonie à la veille d'un rendez-vous déterminant pour l'avenir du pays : la conférence internationale sur l'investissement. C'est également à eux qu'il revient de décider en dernier ressort sur le dossier des augmentations de salaires dans la fonction publique et implicitement sur des négociations salariales dans le secteur privé. C'est somme toute sur eux que reposent le sort du gouvernement et la réussite de la conférence et d'éviter que le pays ne tourne en rond en matière d'équité et de transparence fiscales à force de ne pas vouloir froisser tel corps de métier ou tel autre ou de prêter une oreille attentive et intéressée aux lobbies de toute sorte.