A lire le communiqué publié à l'issue de la réunion de la Commission administrative (CA) de l'UGTT, tenue, mercredi 11 octobre 2017, cela revient à s'interroger sur la validité du concept selon lequel il est nécessaire d'avoir des syndicats ouvriers solides tout autant que peuvent l'être les organisations patronales afin qu'ils garantissent ensemble un efficace équilibre entre impératifs économiques et attentes sociales. Un communiqué qui ressemble à s'y méprendre à quelconque tract issue d'une assemblée générale d'étudiants tel qu'il s'en faisait au siècle dernier. C'est en 7 points que l'instance de décision de l'organisation historique des salariés a résumé la situation générale du pays : les Caisses sociales, le pouvoir d'achat, la loi de finances 2018, l'école publique, les salaires, les privatisations et, en raison de l'actualité, l'émigration clandestine. Visiblement, il n'y a rien à redire sur les préoccupations de la centrale syndicale. Logiques et légitimes. Toutefois, elle en est loin sinon totalement à rebours quand il s'agit d'en dégager les tenants. Ce ne sont pas les choix économiques « erronés », ni « les mesures dites réformes structurelles », ni les politiques de « précarisation » de l'emploi qui sont les seules raisons, si tant est que l'on puisse être d'accord sur ces raisons, des déficits abyssaux des Caisses sociales. Le problème des Caisses sociales est plus profond dans la mesure où il tient au système de gestion des régimes sociaux gérés par ces Caisses. L'UGTT ne semble pas avoir compris que le système de gestion par répartition qui régit le fonctionnement de ses régimes a atteint ses limites, que les mesures telles que l'augmentation des cotisations ou l'allongement de l'âge de la retraite ne suffise plus à pérenniser le système, au mieux à retarder l'échéance d'un nouveau déficit. Or, c'est sur ce terrain qu'on était en droit d'espérer une quelconque proposition de la centrale syndicale. Il en est malheureusement rien. Aucune logique S'agissant du pouvoir d'achat, l'UGTT « désavoue l'incapacité du gouvernement à stopper l'érosion du pouvoir d'achat et s'interroge sur son silence face la flambée démentielle des prix ». De quelle érosion du pouvoir d'achat parle-t-on ? L'organisation syndicale ne semble pas avoir constaté que, depuis 2011, l'enveloppe des rémunérations du budget général de l'Etat a augmenté au rythme de 10% en moyenne annuelle alors que l'inflation n'a crû qu'au rythme de 5,5%. Elle ne semble pas avoir observé que depuis 2011 les salaires dans le secteur privé ont augmenté en moyenne annuelle de 4% environ alors que le taux de croissance réel de l'économie tunisienne n'a augmenté que 1% en moyenne annuelle. On était en droit d'espérer que la représentante historique des salariés ne fasse pas siennes ces faux-semblants et qu'il fournisse de solides propositions pour résoudre le grave déficit des finances publiques et la dramatique détérioration de la productivité. La position de la Commission administrative de l'UGTT sur le projet de loi de finances 2018 est claire. Elle refuse tout accroissement de la pression fiscale. Soit. En revanche, elle ne semble pas effectuer une analyse fine de la contribution fiscale des salariés et des entreprises. Certes, il est vrai que le fardeau fiscal des impôts directs est de plus en plus supporté par les salariés ces dernières années. L'UGTT a fait sienne l'analyse de l'Observatoire tunisien de l'économie qui indique que depuis 2011 « la contribution des salariés n'a cessé d'augmenter tandis que celle des sociétés pétrolières et non pétrolières n'a plus augmenté ». Plus encore, depuis 2014, « la contribution de ces dernières a fortement chuté à des niveaux historiquement bas ». L'UGTT ne semble avoir tiré de ce constat qu'un seul enseignement : on presse les salariés comme des citrons pendant que les entreprises s'en donnent à cœur joie en matière de fraude par sous-déclaration. Quelle courte vue ! La centrale syndicale ne semble pas avoir fait le lien implicite entre les augmentations salariales de ces dernières années et l'augmentation du volume de la contribution fiscale des salaires dans le budget de l'Etat. Elle ne semble pas également avoir fait le lien entre le ralentissement de la croissance économique de ces dernières années et son corollaire sur les bénéfices et donc sur la charge fiscale annuelle directe des entreprises durant cette période. Soyons sérieux ! La transition est naturellement faite pour aborder un autre point de la déclaration de la Commission administrative de l'UGTT : les salaires. Est-il raisonnable aujourd'hui de revendiquer des augmentations de salaires en 2018 alors que l'Etat est dans l'obligation de réduire la masse salariale du budget de l'Etat ? Une masse salariale qui atteint des sommets, engloutissant annuellement 40% du budget de l'Etat ou encore 15% des richesses produites annuellement par le pays. Est-il raisonnable d'alourdir encore la charge des entreprises alors qu'elles sont dangereusement en perte de compétitivité ? Soyons sérieux ! Il convient de l'être d'autant plus lorsqu'il s'agit de l'école et des structures sanitaires publiques. Oui, il faut sauver l'école publique. Oui, il faut stopper la déliquescence qui frappe nos dispensaires et hôpitaux. Mais l'UGTT demeure muette sur les initiatives à engager. L'éducation et la santé n'ont pas de prix. Mais elles ont un coût que l'Etat, seul, ne peut supporter. L'Etat en tant qu'agent économique consacre 25% de ses dépenses à l'éducation alors que les ménages n'en consacrent que 2,5%. Il n'est nullement question ici d'une quelconque privatisation, mais de constater ce curieux déséquilibre et de tenter de le résoudre. Il en est de même des structures sanitaires publiques. Sur ce plan, on était en droit d'espérer que l'organisation syndicale fasse œuvre de propositions comme par exemple la révision du système d'éligibilité à l'Assistance médicale gratuite (AMG1) et à l'Assistance médicale à tarif réduit (AMG2). Malheureusement, du côté de la Place Mohamed Ali, on ne sembla pas y penser. Sur le dossier des privatisations, le refus de l'UGTT semble totale, « une ligne rouge » à ne pas dépasser. Pourquoi ? Au nom de la souveraineté nationale et parce que ces entreprises publiques sont au fondement de l'économie du pays, explique-t-on entre autres. Il semble que la centrale syndicale n'est pas tirée, là aussi, les enseignements de l'expérience des privatisations en Tunisie, ni des déboires actuels de la STIP, afin de savoir raison gardée. L'imagination semble avoir fui les couloirs du siège de la centrale syndicale. La perspicacité intellectuelle aussi. On est réellement en présence de déclarations de café de commerce