L'annonce a été faite hier, 9 novembre 2017, par l'élu Al Horra Sahbi Ben Fredj, un front parlementaire va être constitué à l'Assemblée. Si cela se concrétise, il sera bonnement question du 3ème groupe parlementaire de l'ARP avec 43 élus. Un bloc qui risque de redistribuer les cartes sous la coupole du Bardo et qui commence déjà à déranger. C'est le 13 novembre prochain que doit se tenir la première assemblée générale du nouveau « front parlementaire progressiste ». Un front composé de 43 élus provenant de Al Horra, Afek Tounes et d'anciens de Nidaa Tounes. L'élu Al Horra, Sahbi Ben Fredj, à l'origine de l'annonce, a expliqué que l'objectif de ce front est de « rétablir l'équilibre parlementaire et de garantir la stabilité politique et la continuité de la guerre menée par l'Etat contre la corruption ». Ce front se caractérise surtout par le nombre d'élus qui le composent, à savoir 43. Ceci ferait de ce front la troisième force parlementaire à l'ARP et il serait, ainsi, doté d'un pouvoir de nuisance non négligeable devant les blocs d'Ennahdha et de Nidaa Tounes. Pour ce dernier, le premier effet, et non des moindres, sera de réduire considérablement le nombre d'élus de ce bloc vu que plusieurs députés avec l'étiquette Nidaa Tounes, vont le rejoindre à l'instar de Zohra Driss, Moncef Sellami ou Wafa Makhlouf.
Il semblerait, en effet, que Nidaa Tounes soit le premier à avoir peur de la constitution du front progressiste. C'est le chargé des affaires politiques du parti, Borhène Bsaïes, qui avait tiré à boulets rouges contre ce front en disant, le 26 octobre : « La formation récente dudit Front parlementaire progressiste n'est au final qu'une manœuvre politique. On y trouve des personnes qui faisaient partie de Nidaa Tounes et qui, aujourd'hui, cherchent à avoir du pouvoir au sein de ce front. On se rappelle encore de la formation du Front du Salut qui était tombé au bout de 4 mois… ». M. Bsaïes avait également déclaré que ce front réunissait des « petits partis » en manque de pouvoir et d'influence. Il a aussi déclaré que ce nouveau front ne dérangeait pas Nidaa Tounes. Toutefois, les propos du chargé des affaires politiques de Nidaa se contredit quand on voit le ton employé par le parti dans le communiqué qu'il avait publié à propos de ce front. Le 25 octobre 2017, le directeur exécutif du parti, Hafedh Caïd Essebsi, signe un communiqué disant que Nidaa Tounes n'a aucun rapport avec cette initiative et que les positions officielles du parti sont exprimées uniquement par les communiqués signés HCE. Le plus important réside dans le troisième point : « Nidaa Tounes annonce que tous les députés du parti qui intégreraient cette initiative n'auront plus de lien ni avec le bloc de Nidaa Tounes ni avec le parti en application des contraintes de la discipline organisationnelle et pour conserver l'unité du parti et de son bloc parlementaire ». Donc une menace à peine voilée de virer du parti quiconque se laisserait tenter par cette initiative parlementaire. Mais c'est bien plus facile à dire qu'à faire. Quand on examine l'Histoire du parti du premier jour de sa formation, on voit mal qui aurait la légitimité et le courage de virer une Zohra Driss ou un Moncef Sellami. Non seulement ils font partie des fondateurs du parti mais ils sont aussi des financeurs importants et des relais d'influence non négligeables au niveau national mais aussi régional. Nidaa Tounes se tirerait-il une balle dans le pied pour sauvegarder la « discipline organisationnelle » ?
Au niveau de l'Assemblée, la constitution d'un tel front permettrait, non seulement l'initiative législative, mais aussi de peser sur les votes et sur les décisions. En effet, il s'agira d'un front qui pourra aisément, vu le nombre de députés qu'il abritera, jouer un rôle d'arbitre entre les groupes parlementaires d'Ennahdha et de Nidaa Tounes. Un bloc qui pourra, par exemple, faire élire un président pour l'ISIE en lui apportant son soutien. Pour l'instant, Ennahdha n'a pas réagi à la constitution de ce bloc et observe d'un œil attentif ces tentatives de rapprochement.
Par ailleurs, une question commence déjà à se poser : Y a-t-il une possibilité pour que ce front évolue vers autre chose à l'avenir ? D'aucuns voudraient qu'il représente une base sur laquelle pourrait se construire un vrai grand parti politique modéré et moderniste. Dans l'exception tunisienne, les élus ont trouvé un accord sur ce qui représente le cœur de l'activité politique dans toute démocratie : le travail parlementaire. Mais leurs leaders, comme Yassine Brahim ou Mohsen Marzouk, ne semblent pas être enclin, aujourd'hui, à se rapprocher plus sérieusement, contrairement à leurs déclarations.
La constitution d'un front parlementaire progressiste est une mauvaise nouvelle pour certains et une bonne pour d'autres. C'est une bonne nouvelle pour tous ceux qui souhaitent que les progressistes finissent enfin par travailler ensemble, indépendamment du cadre ou de la forme. C'est aussi une mauvaise nouvelle pour Nidaa Tounes, particulièrement, qui voit des députés importants claquer la porte et qui voit son influence et son poids à l'ARP fondre à vue d'œil. Mettra-t-il en exécution sa menace de virer les députés qui ont intégré ce front ? Rien n'est moins sûr.