La Tunisie est l'un des plus grands producteurs d'huile d'olive à travers le monde. Si l'Etat tunisien arrive à exporter aussi massivement son produit, c'est parce que l'huile d'olive locale se distingue par sa qualité, ce qui explique les différents prix remportés ces dernières années notamment. Manifestement, cette réussite ne fait pas que des heureux de l'autre coté de la méditerranée… « Les résultats sont contrastés dans la famille des huiles d'olive : cinq produits contiennent des résidus de pesticides et six des plastifiants… Cette migration, qui touche surtout des huiles de Tunisie, peut provenir des contenants ou des joints de machines utilisés sur la chaîne de production ». C'est cet extrait du dernier rapport du très sérieux magazine français 60 millions de consommateurs, rattaché à l'Institut national de consommation qui a créé une vaste polémique dans le milieu de la production d'huile d'olive en Tunisie.
Est mise en cause dans ce rapport, repris ensuite par l'Association française de défense de consommateurs européens et plusieurs médias français et tunisiens, la présence de résidus de pesticides et de plastifiants, notamment de phtalates, un composé chimique dérivé qui est utilisé dans les emballages. Sauf que les phtalates sont soupçonnés être une substance cancérigène, d'avoir des effets nocifs sur la fertilité, le développement du fœtus et du nouveau-né également en plus de suspicions quant à leur rôle de perturbateur endocrinien. On peut déduire donc que ce qui est mis en cause dans cette affaire est l'emballage et non la nature même de l'huile d'olive tunisienne, comme cela a été repris par plusieurs médias. Alors certes le rapport publié par 60 millions de consommateurs fait état de présence de pesticide dans l'huile d'olive tunisienne, mais sans étayer cette affirmation ni préciser un quiconque taux. Le rapport ne fait que mentionner cette présence, par ailleurs fortement démentie par le ministère de l'Agriculture tunisien. Pour 60 millions de consommateurs, ce sont surtout les phtalates qui posent problème.
Intéressons-nous maintenant à la substance en elle-même, les phtalates. En dépit de fortes suspicions quant à leurs graves effets secondaires (évoqués ci-dessus), il n'existe aucun texte de loi ou norme au niveau national, européen et mondial qui fixe un seuil maximal à cette substance. Il faut se rendre en Allemagne pour trouver trace de recommandations, qui n'ont pas d'effets juridiques donc non obligatoires, qui fixent le seuil de phtalates à 1 mg/Kg. Or d'après les précisions apportées par le ministère de l'Agriculture tunisien, le taux de phtalates trouvé dans 7 échantillons de bouteilles d'huile d'olive prélevées s'établit à 0,7 mg/Kg, soit en dessous des recommandations pratiquées en Allemagne, d'où le qualificatif d' « infimes mole » utilisé par le département tunisien de l'Agriculture dans un communiqué. Le ministère précise que des contrôles sont effectués régulièrement pour analyser et détecter la présence de pesticides et de substances chimiques dans l'huile d'olive produite en Tunisie, et ce avant sa commercialisation et son exportation vers d'autres marchés.
Partant de ce constat, le ministère tunisien de l'Agriculture a annoncé à travers la directrice générale du département agriculture-biologie Samia Maâmer qu'il allait demander un rapport détaillé sur les méthodes et les résultats d'analyses effectués dans des laboratoires français qui ont conduit à mettre en cause l'huile d'olive tunisienne. Intervenant dans une radio le lundi 2 avril 2018, le directeur général de la production agricole Ezzeddine Chalghaf a abondé dans ce sens en affirmant qu'il s'agissait « avant tout de s'assurer de la pertinence de ces analyses conduites par les laboratoires français avant de conclure que notre huile est contaminée. On doit revenir sur les procédures de l'échantillonnage et les méthodes d'analyse afin de mieux comprendre comment elles étaient effectuées. De plus, s'il s'avère qu'il existe réellement une contamination, le pourcentage serait extrêmement faible et négligeable et il n'est en aucun cas nuisible à la santé des consommateurs ».
Si la partie tunisienne tient autant à révoquer les arguments avancés par les médias européens, c'est qu'elle est avant tout consciente des enjeux. Le ministère de l'Agriculture et des hauts responsables du département mènent une campagne médiatique agressive et menacent, de recourir à la justice pour poursuivre « quiconque touchera à la réputation de la qualité des produits nationaux avec des arguments fallacieux ». De toute évidence, la Tunisie se doit de préserver sa réputation d'un des plus grands producteurs mondiaux de l'huile d'olive à l'échelle mondiale. Ce n'est pas une question de fierté ni de nationalisme affirmé mais bien de réalisme économique. Economiquement justement, et vu la situation difficile des finances publiques tunisiennes, la Tunisie se doit de valoriser ses atouts. Une perte du marché européen concernant l'huile d'olive aurait des effets néfastes sur l'état des deniers publics tunisiens. Ainsi, pour l'année précédente (2016/2017), la Tunisie a exporté 82.000 tonnes, pour des recettes estimées à 792 Millions de dinars (MD). Sur ces 82.000 tonnes, le marché européen accapare une bonne partie (56.700 tonnes prévues dans l'accord d'association entre l'UE et la Tunisie, plus un quota supplémentaire accordé après la révolution de 2011). La Tunisie n'a donc pas intérêt à perdre ce marché ou à laisser des rumeurs ou des études ternir son image.
De l'autre côté de la méditerranée, et bien que l'Union européenne ait officiellement consenti à augmenter le quota d'importation de l'huile d'olive tunisienne, certaines voix n'hésitent pas à exprimer une position totalement contraire. Ainsi par pur protectionnisme économique, le parlementaire européen Salvo Pogliese avait qualifié l'augmentation du quota tunisien d'exportation de l'huile d'olive de « massacre ». A la même époque, des médias italiens ont parlé « d'invasion et de siège de l'huile d'olive italienne ». En réalité, ce n'est pas la première fois que la qualité de l'huile d'olive tunisienne est dénigrée. En mars 2016, des journalistes italiens s'étaient en effet déplacés dans la ville de Zaghouan pour filmer les conditions sanitaires et d'hygiène dans une huilerie. La diffusion du reportage lors de l'émission italienne Ballaro avait fait grand bruit en Italie notamment, à la grande joie de certains agriculteurs Italiens. Aussi, la droite et l'extrême droite n'avaient pas manqué cette occasion pour surfer sur l'événement pour des fins politiciennes.
Pourtant, l'huile d'olive tunisienne est régulièrement primée dans les grandes compétitions internationales. En 2012, le produit local a obtenu plusieurs médailles d'or au concours international de l'huile d'olive extra vierge organisé par l'Association japonaise des sommeliers de l'huile d'olive (OSAJ) lors du salon Foodex qui a eu lieu du 6 au 9 mars à Tokyo. Une reconnaissance qui ne semble pas arranger tout le monde, notamment du côté européen. La parution de l'étude de 60 millions de consommateurs ou alors le récent reportage réalisé par un média italien sont-ils un moyen pour faire baisser les prix d'achat de l'huile d'olive ou bien une preuve de la rigueur et du respect minutieux des normes du côté européen? Le débat est ouvert. Du côté tunisien, il est temps de faire marcher les lobbies pour défendre les intérêts économiques tunisiens. En réalité, dès la « première » polémique de 2016 relative au reportage italien, le président de la chambre de commerce tuniso italienne Mourad Fradi avait appelé de ses vœux la création d'une Task Force pour communiquer sur l'excellente qualité de l'huile d'olive en Tunisie et sur sa renommée internationale. 2 ans après, cette proposition est plus que jamais d'actualité…