Rien ne va plus pour Youssef Chahed. Son sort et celui de son gouvernement semble être scellé. Il aura tenu en poste plus de 2 ans, un record en soi quand on sait que depuis la révolution de 2011, la Tunisie a vu défiler à la Kasbah 9 chefs de gouvernement. La messe est dite, les différentes parties de la classe politique affutent leurs couteaux et préparent l'après Chahed. Quelques noms commencent à sortir du lot…
On devra attacher les ceintures, bien s'installer et se préparer au spectacle devenu habituel des mois d'âpres négociations pour enfin désigner un nouveau chef du gouvernement. Ce ne sera pas une mince affaire, tant chacun tentera d'avancer ses pions, de défendre bec et ongles ses intérêts et de placer son poulain.
Le chapitre Youssef Chahed est à ses dernières péripéties. Après avoir subi les attaques du clan Hafedh Caïd Essebsi à Nidaa, celles de la surpuissante centrale syndicale l'UGTT ; après que le président de la République a décidé de prendre clairement le parti de son fils, voilà qu'Ennahdha, par le truchement de Rached Ghannouchi, donne son accord pour réactiver le fameux 64ème point de l'Accord de Carthage 2, sous condition que le successeur obtienne l'aval de l'ensemble des signataires. Point de discorde, lors des concertations en mai 2018, la question de l'éviction de Youssef Chahed a poussé alors Béji Caïd Essebsi à suspendre l'Accord pour donner plus de temps aux négociations. Chose faite, aujourd'hui l'affaire est actée. Après une courte période de répit, Youssef Chahed est plus que jamais sur un siège éjectable, ses potentiels successeurs font la queue et les premiers noms commencent à circuler.
Le jour de la revanche est arrivé pour l'autoproclamé directeur exécutif de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi. Il s'y préparait depuis longtemps et voilà que ses désirs se réalisent enfin. L'après-midi même où Ennahdha a donné son accord pour le départ de Chahed, Caïd Essebsi fils réunissait les ministres de Nidaa pour obtenir leur démission du gouvernement. Finalement, les ministres présents délégueront à la direction du parti la décision de leur retrait ou non. Affaire conclue. Ce n'était pas tout, puisque Hafedh Caïd Essebsi avait un nom à proposer, celui du député Fadhel Omrane, ancien président du bloc parlementaire de Nidaa. Proche du directeur exécutif, il fait partie du clan anti-Chahed et ne rate pas une occasion pour le descendre dans les médias. Au lendemain du discours de Chahed au cours duquel il a frontalement attaqué HCE, Fadhel Omrane n'a pas mâché ses mots et a même ironisé sur le fait que le chef du gouvernement soit sûrement affecté par le mois de Ramadan. A maintes reprises, le député a appelé à la démission de Youssef Chahed et à ce que le chef du gouvernement admette son échec et rende des comptes. Fadhel Omrane n'hésite pas à écumer les plateaux, notamment ceux de Nessma Tv, pour dire que la nomination du jeune locataire de la Kasbah a été une erreur monumentale et qu'il représente un danger pour le pays. En somme, le candidat parfait pour un Hafedh Caïd Essebsi qui aura son homme à la Kasbah celui qui servira enfin ses intérêts et ceux de son clan. Mais comme nous l'avions signalé dans un précédent article, Caïd Essebsi fils a besoin de s'appuyer sur le soutien de ses ministres pour pouvoir convaincre son père et les différents signataires de l'Accord de Carthage de la pertinence de cette proposition.
Il est un autre nom qui circule depuis un bon moment, celui de Selma Elloumi, ministre du Tourisme et de l'Artisanat. Discrète de par sa position de membre du gouvernement, elle s'affiche tout de même à toutes les réunions auxquelles appelle le directeur exécutif de Nidaa. Une prise de position on ne peut plus limpide. Elle est dans le gouvernement, mais elle œuvre main dans la main avec les Caïd Essebsi pour évincer son chef. D'ailleurs, Selma Elloumi figurait parmi les ministres présents à la dernière réunion de Nidaa et a donné son accord pour quitter le gouvernement si la direction du parti venait à le décider. Elle est proche du clan de Hafedh, du palais présidentiel et elle fait partie des fondateurs de Nidaa, ce qui fait d'elle une sérieuse candidate en lice. La proposition du parti se base sur le bilan positif de la ministre à la tête du département du Tourisme, tenant compte de la reprise du secteur après des années de récession et des bons résultats affichés. Connaissant Nidaa et la récupération politique qu'il fait de la question, le fait que Selma Elloumi soit une femme pèsera aussi dans la balance. Les soutiens de Selma Elloumi au parti présenteraient sa candidature comme une première historique qui offrira à la Tunisie une femme chef du gouvernement…
Parmi les noms pressentis figure également celui de Khaled Kaddour, le ministre de l'Energie récemment limogé par Youssef Chahed dans l'affaire du champ pétrolifère Halk El Menzel qui s'est transformée en scandale politique ces derniers jours. Le nom de Kaddour circulait aussi depuis un moment et il est reconnu pour être l'homme de l'UGTT. La centrale syndicale avait ainsi proposé le ministre comme successeur à Chahed en pleines concertations de l'Accord de Carthage 2 et le désaccord sur le point 64. Ce n'est pas le dernier scandale qui dissuaderait l'UGTT, selon certains observateurs de la place, de défendre son candidat. Est-il considéré comme une « carte brûlée » pas si sûr, quand on voit le soutien apporté par la centrale syndicale à celui qu'on surnomme « Monsieur Energie », insinuant même que toute l'affaire n'est autre qu'un complot politique.
Toujours est-il, toutes les tractations qui se mettront en place pour évincer Youssef Chahed et lui trouver un remplaçant, qui contentera partis et organisations, ne se fera pas en un jour. D'autres noms feront sûrement surface. Il est dit que l'actuel locataire de la Kasbah restera en poste au moins jusqu'à fin décembre 2018, le temps que tous les intervenants s'accordent sur son successeur et que la Loi de finances 2019 soit bouclée et votée au parlement.