A partir de cette année, les enfants des classes préparatoires auront droit à un enseignement sexuel. Une bonne nouvelle en somme mais qui suscite déjà inquiétudes et interrogations. Entre ceux qui craignent un « pervertissement » des générations futures et ceux, plus pragmatiques, qui se demandent comment et par qui, parlera-t-on de sexe aux enfants. Le ministère de l'Education nationale a décidé de commencer à partir de cette année scolaire 2019/2020 un programme expérimental d'éducation sexuelle aux jeunes enfants. Expérimental car il concernera, au départ 13 régions tunisiennes, avant de s'étendre à l'ensemble du pays. Ces cours seront dispensés, à partir du mois de décembre de cette fin d'année 2019 et commencera dès les classes préparatoires. Ceci fera de la Tunisie « le premier pays arabe » à intégrer des cours d'éducation sexuelle dans son programme scolaire, s'extasient de nombreux observateurs.
La directrice exécutive de l'Association tunisienne de la santé de la reproduction (ATSR) Arzak Khintich avait affirmé sur Mosaïque Fm que cet enseignement émane d'un partenariat avec le fonds des Nations Unies pour la population et l'Institut arabe des droits de l'homme. Les cours seront faits sous le contrôle du ministère de l'Education nationale et seront intégrés dans les modules de langue arabe, d'éducation physique et des sciences de la vie et de la terre. Arzak Khintich explique que « ces cours obéiront au cadre culturel et religieux du pays et comprendront la sensibilisation aux éventuels actes de harcèlement pouvant toucher les enfants […] Il s'agit de fournir aux jeunes et aux adolescents de 5 à 15 ans des informations claires sur leur sexualité afin que leurs décisions soient éclairées et responsables, dans le but de les protéger contre d'éventuels abus ». Sur Shems Fm, Insaf Fathallah Gamoûn, inspectrice de l'éducation civile et experte auprès de l'Institut Arabe des Droits de l'Homme, explique que les élèves de 7ème année de base étudieront les aspects des violences faites aux femmes, de harcèlement sexuel notamment dans les transports publics, très répandu dans le pays.
Auprès de l'opinion publique, cette annonce rassure et dérange en même temps. Plusieurs citoyens ont exprimé leur inquiétude quant à un éventuel « pervertissement » des enfants. Dans les milieux conservateurs, l'éducation sexuelle est généralement liée à la liberté sexuelle et, donc, à la dépravation. Des parents ont critiqué « ce nouvel enseignement qui fera dévier les enfants des traditions tunisiennes, pour suivre le chemin des sociétés occidentales ». De l'autre côté, des parents se posent la question de savoir par qui seront prodigués ces cours, si les enseignants sont suffisamment formés pour aborder, pour la première fois, des questions aussi délicates aux enfants, et que leur expliqueront-ils au juste ? D'un côté comme de l'autre, l'incompréhension est générale. « A quel enseignement auront droit nos enfants ?». Si le ministère ne s'est pas encore clairement prononcé sur les détails de cet enseignement, on sait déjà qu'il devra être « en adéquation avec la culture de la société tunisienne et les principes de la religion musulmane ».
Hatem Ben Salem avait affirmé en début d'année que ces cours serviront de rempart à « la multiplication des cas de harcèlement sexuel contre des élèves et notamment des affaires de pédophilie en milieu scolaire ». Une affaire avait particulièrement secoué l'opinion publique en 2018 lorsqu'un enseignant dans une école primaire publique à Sfax a été accusé d'avoir sexuellement abusé de 20 élèves, soit 17 filles et 3 garçons. Par ailleurs, une enquête menée par les services du ministère de l'Education a permis de mettre la lumière sur 87 cas de harcèlement présumé entre octobre et mars 2018. Ce que l'on sait pour l'instant est que les cours d'éducation sexuelle seront dispensés au milieu d'autres matières et ne feront donc pas l'objet d'un module à part. Cela voudra dire donc qu'ils seront prodigués par les mêmes enseignants. Ces derniers ont-ils reçu la formation adéquate pour initier les enfants à leurs corps et à la sexualité ? Ont-ils les outils pédagogiques et le recul nécessaire pour faire de ces cours un moment de découverte et une invitation au dialogue dans un cadre positif et bienveillants sans jugements ni tabous ? Alors que l'annonce du début de ces cours est prévue pour le mois de décembre, c'est-à-dire dans quelques jours, les enseignants sont-ils prêts ? Quid des manuels scolaires ? Autant de questions que les parents se posent et auxquelles il n'existe à l'heure aucune réponse. Pour l'instant, l'annonce sert à rassurer les parents soucieux d'éduquer leurs enfants aux « choses de la vie » et fait hérisser les poils de ceux qui ont peur que les tabous soient brisés et les traditions, bafouées. Face à une jeunesse non encadrée en matière de sexualité et qui, à un certain âge, ne connait pas encore très bien son propre corps et celui des personnes du sexe opposé, une éducation sexuelle est plus qu'une priorité. Les jeunes Tunisiens sont souvent livrés à eux-mêmes et la sexualité demeure encore un sujet tabou, fortement stigmatisé, que ce soit à l'école, en famille ou même dans des cercles plus restreints comme les amis. Une ignorance qui perdure, dans bien des cas, jusqu'à l'âge adulte. Dans un pays où les termes « rapport sexuel », « masturbation », « orgasme » et « homosexualité » sont souvent synonymes de honte et de pêché, le ministère met beaucoup trop de temps à réagir. Même en faisant ce pas, poussé par la société civile, il le fait de manière timide et laconique tout en se cachant derrière l'argument religieux. Les cours d'éducation sexuelle ne sont pas une nouveauté en Tunisie puisque des informations étaient disponibles via le planning familial et dispensés aux jeunes pour leur donner l'accès aux moyens de contraception ainsi qu'à des informations sur la prévention du sida, les grossesses non désirées, l'avortement, etc. Ils n'ont, en revanche, jamais été dispensés dans les écoles et touchant une cible aussi jeune. Aujourd'hui, de très nombreux parents souffrent eux-mêmes d'une méconnaissance du sujet et ne savent –ou ne veulent - pas aborder avec leurs enfants des questions aussi simples que celles du consentement, des menstruations féminines ou de la conception.
En l'absence d'une vision claire et d'informations précises sur le type d'enseignement auquel les enfants auront droit, cette annonce ne rassure pas autant qu'elle devrait.Tout porte à croire qu'elle sera, à l'avenir, au cœur de nombreuses controverses. En attendant, les conséquences d'une telle ignorance sur une question pourtant naturelle et basique, peuvent souvent gâcher bien des vies…