La liberté donne le tournis. Qui aurait pu croire que les choses qui nous paraissaient si naturelles et si acquises il y a quelques semaines, deviendraient si inaccessibles et terriblement fantasmagoriques ? Le monde entier vit au même rythme. Nous sommes tous logés à la même enseigne.
Du fond de ma geôle, par la petite fenêtre de ma cellule, les pieds enchaînés à des boulets (bon n'exagérons pas) je regarde les rues de mon quartier. Jamais elles ne m'ont semblé aussi attrayantes. Les arbres des jardins de mes voisins, quel paradis ! Je regarde aussi toute cette liberté que m'offre le confinement. Tout ce temps que m'offre le loisir de n'avoir aucune vie sociale, le luxe de ne plus rencontrer mes collègues, et l'immense plaisir de ne plus conduire. La liberté à l'état brut !
Du fond de notre cellule, l'œil aussi vif qu'un poisson du rayon frais d'une grande surface et l'estomac fantasmant sur les fricassés au thon qu'on cuisinera au diner, nous nous posons la question : sommes-nous réellement libres ? Le sommes-nous vraiment si nous n'avons plus l'occasion de serrer la main à nos collègues le matin en commençant à travailler, si l'afterwork a désormais lieu dans la cuisine entre les packs d'eau minérale et les mugs Hello Kitty, et si notre unique réconfort est le plateau tv de la soirée devant sa série Netflix ? Qu'allons-nous faire de cette liberté à laquelle nul ne nous a préparés ? De ce temps libre à revendre dont on se passerait bien et de cette reconnexion à nos proches (dont on se passerait bien aussi).
Certains disent que nous ne sortirons de ce confinement que complètement obèses, complément alcooliques ou complètement fous. Pour certains, ce sera les trois à la fois. Mais rassurez-vous, nous aurons nos feuilletons pour ramadan et rien que cette nouvelle a de quoi apaiser nos pauvres esprits tourmentés.
Profitez du confinement pour vous recentrer sur l'essentiel, disent-ils, pour vous rapprocher des êtres chers qui partagent votre cellule…foyer et de vous occuper de vous-mêmes. Ecrivez enfin ce livre que vous attendez de faire depuis des années, devenez peintre expressionniste, maitrisez l'allemand par cœur et faites du tricot. Nul besoin de vous dire que tous ceux qui nous bassinent à longueur de journée avec leur quête de spiritualité au temps du confinement, sont les mêmes qui ont déjà viré dingos et qui dansent nus dans leurs appartements, les collants de leur grand-mère accrochés sur la tête. Ce sont les mêmes qui nous rabâchent à longueur de journée leurs théories sur l'éducation positive des enfants, la nourriture vegan et la meilleure manière de faire face aux chauffards en arborant son plus beau sourire. Inutile d'essayer, tout ceci ne marche pas !
Et si on se concentrait plutôt sur l'urgence de sortir de cette expérience aussi sain d'esprit que le jour où on l'a commencée (c'est-à-dire à moitié) ? Ce serait déjà un pari de gagné.
Bientôt, toutes nos bonnes résolutions s'évanouiront et nous reviendront à nos bonnes vieilles habitudes d'humains gâtés, pourris et inconscients. Le temps que ce confinement prenne fin…