La Méditerranée, lac de paix et de prospérité : tel est le vœu exprimé par les fondateurs de l'Union pour la Méditerranée, née récemment avec la participation active de la Tunisie et qui rassemble la majorité des pays riverains de cette mer. Difficile équation tant cet espace avait toujours été, certes un lieu de brassage de civilisations et d'échanges culturels et économiques, mais surtout de guerres meurtrières et de conflits armés qui ont ensanglanté la région et fait naître une certaine défiance sinon une incompréhension tenace entre les peuples riverains. De telles attitudes solidement ancrées dans la mémoire collective de ces peuples ne peuvent disparaître du jour au lendemain, comme par une sorte de baguette magique et quelle que soit par ailleurs la volonté des dirigeants méditerranéens. Fait remarquable et signification : ceux-ci, ne se sont jamais jusqu'ici assis autour de la même table donnant la plupart du temps la préférence aux approches bilatérale par rapport à l'approche régionale en dépit des innombrables avantages que peut offrir un tel ensemble qui présente tant de multiples intérêts complémentaires. Les raisons avancées pour justifier les multiples guerres qui ont émaillé l'histoire de ‘'mare nostrum'' sont difficiles à cerner conférant parfois à ces conflits un caractère apocalyptique et l'allure de véritables ‘'guerres mondiales'' où les facteurs politique, culturel et économique sont étroitement enchevêtrés. Les guerres entre Rome et Carthage, communément appelées ‘'guerres puniques'', ressortent de cette catégorie. Elles gardent dans certains de leurs aspects un caractère très actuel qu'il est intéressant de saisir. C'est l'objectif recherché par un hors série de la revue « Les cahiers science et vie » qui consacrent à cette question épineuse et aux multiples facettes un numéro spécial qui regorge d'informations et de nouvelles découvertes qui éclairent d'un jour nouveau l'histoire de ces guerres et détruisent beaucoup de mythes dont beaucoup ont toujours la vie tenace. Leur analyse permettrait de jeter les bases d'une nouvelle approche des relations internationales ce dont les décideurs ont aujourd'hui grandement besoin tant la compréhension de l'histoire est incontournable pour mieux construire l'avenir. Elle contribuera également à de mieux décrypter les manœuvres des différents acteurs en présence en Méditerranée qui, depuis le temps, ont changé de noms mais dont les tactiques relèvent des mêmes stratégies. Ainsi la cause généralement invoquée pour expliquer les guerres puniques est d'ordre économique. On connaît le cri du fameux tribun romain Caton qui, brandissant du haut de la tribune du sénat, un panier de figues volées nuitamment dans la région du Cap bon , s'écria « dalenda est Cartago » expliquant que, pour assurer sa domination en Méditerranée, Rome se doit de mettre la main sur ce pays ou un tel fruit miracle pousse à l'état sauvage lui assurant une prospérité éternelle et dont Rome avait incessamment besoin pour continuer sa politique conquérante et asseoir son nouvel empire. On connaît la suite. Carthage finira par connaître le sort dont rêvait le célébré sénateur romain et fut rasée de la carte. Cette « réalité » sans cesse ressassée par les manuels d'histoire est-elle aussi simple ? Rien n'est moins sur. « Guerre juste, guerre préventive, guerre d'image, guerre d'information.. Ces mots (actuellement) si familiers à nos oreilles sont liés aux guerres puniques qui furent tout cela à la fois » écrit d'emblée la revue en introduction. Mieux, tout montre que le facteur culturel a joué un rôle majeur dans le déclenchement des guerres puniques qui s'étendirent sur plus d'un siècle et mirent à feu et a sang toute la méditerranée, c'est-à-dire presque l'ensemble du monde civilisé d'alors. Quelques mots clefs reviennent dans les textes anciens, ceux des historiens grecs et romains qui, évidemment rapportèrent à quelques nuances près le point de vue des vainqueurs. Perfides, cupides, cruels….ainsi étaient décrits les puniques. Un professeur d'histoire ancienne à l'université de Toulouse souligne que « la représentation de Carthage telle qu'elle a traversé les siècles repose sur la façon dont les auteurs gréco-romains en ont parlé sans cesser de mettre en avant son infériorité'' autrement dit ne méritant pas de subsister ?! De telles attitudes grotesques expliquent l'intérêt continu depuis la deuxième moitié du 19ème siècle de l'occident (Flaubert, Dumas, etc..) pour la cité punique qui représenterait ‘'notre mémoire, nos rêves, en un mot notre culture'' selon l'un des organisateurs de l'exposition consacrée à Carthage par le musée du petit palais en 1995. Carthage n'a-t-elle pas, à leurs yeux, abrité les amours de Didon et d'Enée ? Le reste n'aurait aucun intérêt. La civilisation punique en elle-même avec l'apport de l'élément autochtone, du socle berbère qui lui donna toute sa splendeur et son identité est totalement occultée. Le « dialogue des civilisations » peut-il fonctionner ainsi sur la base des stéréotypes et des idées préconçues. N'est-on pas encore dans la même logique qui fera longtemps de la mer méditerranée plutôt une barrière infranchissable qu'un pont entre les pays riverains. Et pourtant Carthage prouve qu'occident et orient n'ont jamais été étrangers l'un à l'autre. S'il y a confrontation c'est qu'il y a un déficit culturel quelque part, résume à juste titre l'historien tunisien M'hamed Hassine Fantar. C'est pourquoi en faisant du développement de l'éducation un axe prioritaire de l'action de l'Union pour la Méditerranée le Président Ben Ali jette les bases d'une entente durable et salvatrice entre les peuples de l'espace méditerranéen car elle est seule à même de conjurer le spectre des duels de toutes sortes qui guettent la région et peuvent constituer une menace à la paix et une entrave au développement de cette région.