Nous avons publié dans une précédente livraison le schéma gouvernemental pour la levée de la subvention énergétique et tracé avec précision l'orientation du gouvernement pour alléger les dépenses sur la caisse de compensation (lire notre article). Mais on est tenté de se demander ce que cache bien cette levée de subvention sur le rythme de vie du citoyen tunisien et sur son pouvoir d'achat. D'abord, il faut signaler qu'une levée de la subvention est un mal qui vient rarement seul puisqu'elle cache, presque toujours, un second mal organiquement lié au premier et sans doute aux conséquences plus lourdes. En effet, la levée de la subvention est suivie, dans un intervalle plus ou moins long dans le temps, par une libéralisation des prix, selon les sacro saints principes de l'économie politique néo-libérale. Or, il se trouve que la libéralisation est un des grands maux qui gangrènent l'économie tunisienne et le budget du citoyen depuis 1991. La libéralisation a toujours signifié chez le Tunisien l'augmentation des produits de consommation de première nécessité. Systématique, irrévocable et continuelle, la libéralisation n'a jamais entraîné une diminution des prix, malgré tous les efforts des hommes politiques de nous le faire croire depuis 1990, argumentant le principe - artificiel en Tunisie- de l'offre et de la demande. Depuis l'instauration de la libéralisation par la loi 1991-64, les tunisiens sont accablés par les conséquences d'un principe économique qui ne correspond pas à la réalité tunisienne, coopté de force par une mondialisation outre atlantique qui n'a fait que promettre sans jamais honorer ses promesses et contre laquelle nous ne pouvons lutter. Tous ces maux seront aggravés par un ministère du Commerce impuissant et démuni d'outils et de moyens, et dont l'échec éclatant a été démontré pendant la période de gouvernance de la Troïka. Il ne fait aucun doute que le prix du ciment augmentera d'où des difficultés insurmontables pour les Tunisiens d'acquérir ou de se construire un logement, sans parler des possibilités ouvertes à souhait pour les producteurs de faire des ententes illicites et sur les prix et sur les quantités. Si les lois « antitrust » interdisent ces accointances, il est à se demander qui va assurer le contrôle. Le ministère du Commerce (sic). L'accès à la propriété privée sera de plus en plus difficile ce qui se reflètera sur la vie sociale du pays : retard de l'âge du mariage, réticence au mariage d'où problèmes de mœurs, vie commune avec les grands parents, oncles, leurs épouses et enfants comme avant l'indépendance, querelles, disputes, divorces, problèmes d'insalubrité et d'hygiène, voyeurisme et j'en passe… Le secrétaire d'Etat chargé de l'énergie dans le gouvernement démissionnaire d'Ali Laarayedh, Mr Nidhal Ouerfelli, affirme, quant à lui, que les prix du ciment régresseront sans aucun doute après leur libéralisation du fait de la concurrence. On se demande bien comment. S'ils sont largement au-dessus du niveau fixé au moment de leur homologation, qu'en penser si les prix sont libres. En ce qui concerne, le contrôle des prix par le biais des quantités offertes, le gouvernement, à travers son super ministère du Commerce, ne peut pas et n'a pas raisonnablement les outils juridiques nécessaires pour pouvoir contrôler et empêcher les ententes illicites faites sous couverture du cartel. Une autre conséquence directe de la levée de la subvention énergétique est l'ouverture du secteur de la distribution de l'énergie à la concurrence, c'est-à-dire que le marché de l'énergie (Electricité et Gaz) ne sera plus le monopole de l'Etat mais bel et bien ouvert à la concurrence entre plusieurs entreprises de grandes tailles. Le Tunisien aura donc le choix d'aller contracter avec un fournisseur d'énergie comme il le fait avec un fournisseur d'accès Internet ou un opérateur de téléphonie mobile. Là encore il y aura ententes illicites entre opérateurs et manipulation du budget du citoyen. D'autres secteurs d'activité, aux tarifs homologués, vont se baser sur cet exemple et demander la libéralisation de leurs prix. Ils vont exercer une grande pression sur le ministère du Commerce et l'on devra s'attendre à des libéralisations en cascade qui vont ruiner le budget familial du Tunisien et alléger les dépenses de la caisse de compensation. Ainsi, le gouvernement Laarayedh entendait appliquer à la lettre la politique néo-libérale du Fonds monétaire international (FMI), consistant à assécher les dépenses gouvernementales dans le domaine social, et ce n'est pas l'actuel premier ministre Mehdi Jomâa qui pourra s'y opposer ni son ministre chargé de la Coordination et des Affaires économiques, Nidhal Ouerfelli, puisque c'est eux qui ont pris la décision de la levée de la subvention énergétique. Ce qui veut dire concrètement que les choix économiques du nouveau gouvernement ne changeront pas d'un iota par rapport à ceux de l'ancien et que la levée de la subvention sur les produits de base est en cours de réalisation, en catimini et avec une subtilité déconcertante. Subtilité ou pas, quoi qu'il en soit, le petit peuple est en grand danger et le rêve révolutionnaire d'avoir une vie moins chère se transforme, allant crescendo en mirage.