Par Maître Med Laïd LADEB * Depuis l'horrible, lâche et inommable attentat du 26 juin 2015, le peuple tunisien ne dort plus de la nuit. L'angoisse, la colère et l'amertume sont en train d'envahir son existence. J'en fais partie. Avec le sang de ces victimes innocentes qui sont venues nous visiter par amour pour la Tunisie et mues d'une admiration sans limites pour le peuple tunisien et sa «fameuse» révolution, avec le sang des martyrs Chokri Belaïd, Haj Mohamed Brahmi, Lotfi Naghdh, Med El Mufti et les centaines de nos vaillants soldats, agents de sécurité confondus, j'ai voulu rédiger une longue et triste lettre adressée à M. Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha, à MM. Hamadi Jebali et Ali Laârayedh pour leur poser cette ultime question : ne vous sentez-vous pas responsables des misères, des malheurs et des souffrances qui s'abattent sur notre pauvre Tunisie ? «Rêves» fatals : réinstaurer le califat Tout a commencé par cette mystérieuse phrase de M. Rached Ghannouchi, à la suite des événements d'Al Ibdillya, à La Marsa, lors des premiers mois de la révolution : «Ces jeunes me font penser à ma propre jeunesse, à mes propres aspirations et mes propres rêves». Le ton est donné. Les ligues de protection de la révolution, les groupes d'Ansar Echaria ont commencé à entasser les armes dans des caches secrètes sous les yeux inoffensifs du ministre de l'Intérieur d'alors, M. Ali Laârayedh, partout en Tunisie. La fameuse cassette enregistrée à l'insu du cheikh fera le reste. Patience et prudence sont les mots clés en vue de la réinstauration du califat. Ce rêve «fatal» qui hante et habite chaque militant islamiste. C'est le leitmotiv de tous les Frères musulmans. Voilé ou découvert ou à moitié caché, il demeure la force motrice de tous les courants religieux intégristes ou «modernistes» (1). A ce propos, puisque l'heure est à l'union et puisque l'union fait la force, il est bon de noter que je ne suis pas là pour faire le procès d'Ennahdha, encore moins le procès de son dirigeant cheikh Rached Ghannouchi qui a montré, depuis l'instauration du dialogue national, un flair politique rarissime et une clairvoyance propre aux grands hommes d'Etat. Je suis absolument sûr que lorsqu'il a prononcé sa phrase «Ils me font penser à ma jeunesse, etc.», il n'avait aucune idée de la triste et pénible ampleur des événements qu'a affrontés et affronte notre pays. Le mal est là. Comment y remédier. A la recherche d'une nouvelle culture Pour sortir de la quadrature du cercle dans laquelle le parti d'Ennahdha et d'autres se sont vu enfermer, il est plus qu'urgent pour lui de se muer en un parti entièrement «civil» et doit couper à ce titre avec toute la littérature des Frères musulmans. Couper court avec ses origines et ses assises «idéologiques», c'est difficile mais M. Rached Ghannouchi, pour le bien de la Tunisie, pour le bien de son parti, est capable de le faire. L'idéologie «islamique» a servi de tremplin pour ce parti en vue de conquérir le pouvoir. Du temps de Ben Ali, ses militants ont joué la grande victime des libertés et du droit-de-l'hommisme. Avec la révolution du 14 janvier, la liberté a déployé ses belles ailes sur notre pays. Le souci majeur qui s'impose à nous tous sans exception, c'est de veiller à ce que les ailes de la liberté ne soient ni brimées, ni déplumées. C'est le seul défi pour un Etat démocratique. 2) Cette révolution à laquelle le parti Ennahdha est appelé peut être possible par une relecture de la civilisation du monde arabo-islamique, en intégrant le sens de l'histoire avec une approche objectivement critique des événements sans exagération, sans parti pris et sans fanfaronnade. C'est l'œuvre de tous les penseurs, historiens et philosophes du monde arabo-islamique. Elle consiste à réinstaurer le sens critique dans la lecture des différentes étapes du monde arabo-islamique, à partir de la première année de l'hégire jusqu'à nos jours. Une relecture de la littérature des différents courants religieux, sunnites, chiites ou autres est la bienvenue, loin de tout fanatisme et en toute objectivité. A la lumière des tristes événements du 26 juin 2015, il est plus qu'urgent de mettre en œuvre les dispositions de la loi sur les partis n°88-32 du 3/5/1988 et notamment son article 53. La mise en œuvre de cette loi implique la mise hors la loi du parti Ettahrir et tout parti qui prône un discours religieux intégriste, meurtrier et takfiriste. Dans mes articles publiés en langue arabe, j'ai même appelé à la formation de dispositifs d'avocats et de militants des droits de l'Homme pour agir en vue d'obtenir la mise hors la loi de ces partis et ces associations qui entretiennent en secret les différents courants takfiristes (en leur fournissant aide matérielle et aide logistique (2). Il semble que le gouvernement de M. Habib Essid a eu à cet égard la puce à l'oreille. Mieux vaut tard que jamais. Pas de liberté aux ennemis de la liberté Mon propos est adressé à tous nos journalistes et à tous les hommes des médias. La recherche de la vérité doit disposer d'une certaine éthique et s'appuyer sur un ensemble de règles à ne pas perdre de vue. 1) La première, c'est que nous sommes véritablement en guerre contre le terrorisme et les terroristes. La guerre a ses lois qu'il faut respecter. Ces lois sont la prévoyance, l'efficacité et la célérité. Jusque-là, nos hommes responsables de la sécurité de notre pays, qu'ils soient militaires, agents de sécurité ont fait preuve d'un nationalisme à toute épreuve et d'un sens de l'Etat propre aux grandes nations. Demeurer vigilant, œil ouvert sur tout ce qui bouge n'est pas chose aisée, mais nos hommes de toutes les forces armées, j'en suis sûr, seront à la hauteur des défis. En ce qui concerne la sécurité des hôtels, des plages et des stations balnéaires, en plus des mesures édictées par le gouvernement Habib Essid, il est souhaitable de mettre en place un réseau de policiers civils armés et discrets qui habiteront même les hôtels pour éviter qu'un autre 26 juin voie le jour. Vu la nature de ces lieux, plaisirs, joies et réjouissances, la présence de ces agents de sécurité doit être sous le signe du secret professionnel et de la discrétion absolue. Chaque agent qui ne respecte pas cette règle doit être écarté. 2) La 2e règle qui doit être vivement mise en œuvre est celle de «pas de liberté aux ennemis de la liberté». Les règles de l'objectivité et de l'impartialité chères à certains de nos «journalistes» ne peuvent plus tenir devant les semeurs de mort et de désolation. Ecoutant une chaîne de radio, les tristes nouvelles relatives à la mort de nos vaillants agents de la Garde nationale tués par traîtrise. Je n'en revenais pas en apercevant qu'un «journaliste» donnait la parole à M. Ridha Belhaj pour juste après nous «entretenir» des activités de son parti. Ici l'absence et l'incohérence atteignent des limites inouïes. De toute façon, Kafka est dépassé. 3) La 3e règle à conseiller notamment aux auteurs des grandes émissions comme la «Huitième heure», et les plateaux relatifs aux questions de l'heure, éviter de jouer le rôle qui vous est cher, «l'avocat du diable». Un journaliste nationaliste doit être engagé ou il ne l'est pas. Je ne mets pas en doute la sincérité, la recherche de la vérité de nos vaillants journalistes, mais il est souhaitable qu'ils n'invitent plus tous ceux qui ont des attaches de près ou de loin avec le terrorisme et les terroristes et qu'ils mettent dans leur esprit que la question des droits et des libertés est une question relative. Dans ce domaine, l'absolu n'existe pas. 4) La 4e règle à suivre consiste à ce que les journalistes des TV s'ouvrent et suivent ce qui est écrit dans la presse en arabe et en français. Essayer de créer une osmose entre ce qui est écrit et ce qui est dit ne peut être que bénéfique pour l'intérêt général du pays. A ce propos, j'ai relevé un très bel article écrit par M. Abdelhalim Messaoudi dans le journal Echourouk où il stigmatise le prêche du vendredi de M. Béchir Belhassen à Sousse(3). Celui-ci a parlé des tristes événements qu'a vécus la région de Jendouba ces derniers jours envahie par les sauterelles. Au lieu d'expliquer que l'envahissement des sauterelles de cette région est dû aux conditions climatiques, il a soutenu que cette tragédie est due aux méfaits des originaires de Jendouba. Je suis sûr que si les avocats de cette région ont eu vent du prêche de ce takfériste, ils ne seraient pas restés les bras croisés. Conclusion Une seule réponse s'impose à tous ceux qui s'alarment sur l'état des libertés en Tunisie, une réponse unique doit leur être adressée. La Tunisie est en guerre contre le terrorisme et les terroristes. *(Avocat à la Cour de cassation et ancien chercheur au Crea de l'ENA) ––––––––––––––– (1) A ce propos, voir notre article publié dans La Presse du 02/06/2014, «l'Islam politique : la malédiction» (2) Dans le même ordre d'idées lire mon article en langue arabe publié par le journal Essarih les 9 et 12 mai 2015 : «La guerre contre le terrorisme : actes et efficacité ou elle ne l'est pas». (3) Lire M. Abdelhalim Messoudi «Face aux sauterelles», Echourouk du 23/06/2015, p.8