Par Tarek ZARROUK Il est à tout la fois un leader, un leader d'opinion, un combattant, un patriote, un militant, un lettré, un écrivain, un héros de la lutte coloniale. Il s'agit de Ali Belhaouane, l'homme qui voue un amour illimité pour sa patrie… sa chère Tunisie. A son époque, on l'appelait le leader des jeunes car il a suivi à un âge précoce le chemin du militantisme et de la dignité. Le parcours du jeune militant Ali Ben Abdelaziz Ben Ali Belhaouane est né à Tunis le 13 avril 1909; il est issu d'une famille conservatrice et intellectuelle. Enfant, le petit Ali a fréquenté le Kotteb, puis l'école primaire Kheïreddine. En 1924, il obtient le certificat d'études primaires et s'inscrit au collège Sadiki pour y poursuivre ses études secondaires. En 1932, il s'installe à Paris pour entamer un cycle d'études supérieures à la faculté des Lettres; il a étudié entre autres la philosophie et les lettres arabes et décroche le diplôme supérieur des langues et lettres arabes. En 1935, il rentre au bercail pour être désigné professeur au collège Sadiki. En 1936, il emboîte le pas aux militants de la lutte nationale car, à l'âge de 27 printemps, il rêve déjà de voir son pays goûter au charme de la liberté et de l'indépendance. En 1938, le jeune Ali Belhaoune participe pour la première fois au congrès du parti destourien en dépit de son éviction de son poste d'enseignant sur ordre du résident général de France, et ce, le 15 mars 1938. Il faut signaler qu'à cette époque, le pays était en ébullition, les militants destouriens et toute la classe ouvrière s'opposaient en bloc à toute oppression coloniale et voulaient revendiquer leurs droits, l'éviction du leader des jeunes se définit uniquement dans ce contexte. La journée du 9 avril 1938 Le nom de Ali Belhaouane s'est intimement lié à la fameuse journée du 9 avril 1938 soldée par la mort de plusieurs dizaines de citoyens martyrs. Face à l'oppression des autorités coloniales, des milliers de personnes se sont regroupées à la Place Halfaouine autour du militant Belhaouane pour les guider à la Porte de France; toute la médina du nord a été sillonnée par les grévistes. L'autre groupe était guidé par Mongi Slim et avait comme point de départ la Place du leader pour traverser Bab Jédid et Bab Jazira et élire domicile à la Porte de France. Les citoyens révoltés revendiquaient leurs droits à la dignité tout en exigeant la création d'un parlement tunisien. Le héros Belhaouane, porté sur les épaules des jeunes, soulevait le drapeau tunisien et criait devant la résidence générale de France : «Nous sommes venus ce jour pour démontrer nos forces, celles des jeunes qui veulent à tout prix vaincre l'occupant… Avec l'aide de Dieu nous vaincrons !! Nous sommes tous convaincus de la cause tunisienne; nous irons jusqu'au bout pour la défendre». Le 9 avril au soir, Ali Belhaouane ne tarda pas à être arrêté chez lui et incarcéré par la police française. Il fut emprisonné pour une période de 5 ans à l'instar de ses compagnons combattants Habib Bourguiba, Hédi Chaker, Habib Bougatfa, Salah Ben Youssef, Mongi Slim, Taher Sfar et Bahri Guigua. Notre leader a connu les prisons de Tunis, de Téboursouk et de Saint-Nicolas à Marseille. Il fut libéré en 1943 pour se retrouver de nouveau chez lui et continuer de plus belle sa lutte pour l'indépendance du pays. Dès son retour en 1943, Behaouane fut chargé de réorganiser les structures du parti. Il a aussi entrepris le renouvellement de ses cadres et de ses assises. – En 1948, il fut élu membre du comité central, chargé de mission auprès des pays maghrébins. – En 1956, lors de l'Indépendance du pays, son militantisme s'est poursuivi dans tous les domaines de la vie politique : il participa aux élections de l'Assemblée nationale constituante et fut élu secrétaire général de ladite assemblée, puis membre du Comité tunisien auprès de l'ONU, comité présidé par Habib Bourguiba en 1956. – En 1957, il fut nommé président de la municipalité de Tunis. – Le 25 juillet 1957, date de proclamation de la République, Behaouane fut chargé avec d'autres membres du gouvernement de signifier à Lamine Pacha Bey (le dernier monarque husseïnite) la fin du régime beylical et son changement par le régime républicain, et ce, conformément aux décisions de l'Assemblée nationale constituante. Militantisme hors frontières En plus de ses activités politiques au sein du pays, il faut bien signaler que le militantisme de cet homme dépasse les frontières; il fut chargé en 1951 de faire connaître la cause tunisienne aux pays du Moyen-Orient et de s'installer au Caire et faire prévaloir les revendications tunisiennes à la Ligue des Etats arabes. De même, notre héros a séjourné durant l'année 1953 en Irak pour y effectuer diverses activités propagandistes : assister aux différents colloques et réunions estudiantins, prononcer des allocutions à la faculté de Bagdad afin de mieux servir et plaider l'affaire tunisienne. Ses œuvres Ali Behaouane est aussi un éminent écrivain dont voici une liste exhaustive de ses écrits. – L'économie tunisienne : il s'agit d'un manuscrit regroupant les différents problèmes d'ordre économique du pays – Le plan de la capitale : un autre manuscrit rédigé par l'auteur lors de son passage en tant que président de la municipalité de Tunis en 1957. – La Tunisie révoltée : un autre manuscrit rédigé par l'auteur au Caire et édité à Tunis. L'écrivain Behaouane a mis en exergue les différentes étapes de la lutte de l'indépendance durant la période 1949-1954 ainsi que les assassinats politiques de Farhat Hached et de Hédi Chaker. – La révolution de l'esprit : l'œuvre en question traite essentiellement un thème d'ordre philosophique qui concerne la théorie de Ghazali. – L'Afrique du Nord : il s'agit d'une traduction en arabe littéraire de l'ouvrage de l'historien français Charles André Julien. – Les mémoires d'un leader : où l'auteur a édité ses mémoires de combattant et celles du président Bourguiba lors du «séjour» de ces deux hommes à la prison Saint-Nicolas à Marseille (1941-1942). Une mort subite Le 10 mai 1958 fut une journée triste pour tout le peuple tunisien. Car son héros venait de décéder subitement suite à un arrêt cardiaque alors qu'il s'apprêtait à partir en Libye pour une mission politique. Décédé à l'âge de 49 ans, le leader des jeunes n'a pu continuer son combat. Il laisse derrière lui 26 ans de militantisme et de rayonnement culturel et intellectuel. La nouvelle de son décès a ému toute la Tunisie unanimement reconnaissante de l'œuvre nationale de cet homme qui est mort subitement aux champs du combat. Paix à son âme. Sources : Personnalités tunisiennes, de Mohamed Boudhina