Pour l'expert en économie Mohsen Hassan, la relance post-covid-19 doit être avant tout une relance, à la fois, par la consommation et par l'investissement public. C'est dans cette perspective que l'ancien ministre du Commerce appelle, entre autres mesures, à jouer "la carte fiscale" pour consolider les politiques sociales. Le tableau a été dépeint à l'unisson par tous les observateurs, experts et institutions économiques: la Tunisie traverse la récession la plus importante depuis son indépendance. Les politiques de relance sont désormais conditionnées par une situation de finances publiques mises à mal et des marges de manœuvres budgétaires très faibles. Pour pallier ces insuffisances et écarts budgétaires dus aux dépenses supplémentaires versées dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, le gouvernement a pris une batterie de mesures dont une partie a été contestée par plusieurs experts qui invoquent une contreperformance de ces décisions dans la mesure où elles ne servent pas la relance économique. "Je trouve que les mesures annoncées par le gouvernement pour renflouer les caisses de l'Etat et trouver le financement nécessaire ne sont pas vraiment les meilleures, étant donné qu'elles ne vont pas dans le sens de la relance économique", a affirmé l'ancien ministre du commerce Mohsen Hassan dans une déclaration accordée à La Presse. Révision de la politique monétaire et refonte fiscale Entrant dans les détails, il ajoute : " Je trouve que la décision d'augmenter l'imposition sur les intérêts des dépôts internes des banques de 20% à 35% est injuste. On ne peut pas parler de relance économique et augmenter la pression fiscale en même temps. Deuxième décision qui m'a paru étrange et qui n'est pas en faveur de la relance économique, c'est le report des échéances de l'endettement intérieur qui est estimé à 1,5 milliard de dinars pour 2020. Ce report va mettre le système bancaire en difficulté de trésorerie. On aurait dû trouver une autre solution, (et là intervient la politique monétaire), comme par exemple le rachat par la Banque centrale des BTA. Aussi, il faut noter également que les conditions de l'emprunt obligataire émis récemment sont un peu bizarres (un nominal de 100 mille dinars, avec des conditions de rémunération qui ne sont pas attractives). On aurait dû émettre un emprunt obligataire avec des conditions meilleures, notamment un nominal qui sera à la portée de tout le monde, avec des conditions attractives". Toujours au sujet du financement, Hassan a expliqué que l'intégration du marché parallèle et la révision de la politique monétaire, notamment dans cette conjoncture difficile, constituent des solutions aux problèmes du financement. " Pour intégrer le marché parallèle on peut opter pour le changement de billets de banque qui est une opération coûteuse, mais dont les résultats sont tangibles et immédiats. Moi je défends l'indépendance de la Banque centrale mais dans ce contexte de crise économique profonde atypique, je pense que la solution consiste en une révision de la politique monétaire dans la mesure où la Banque centrale pourrait avancer de l'argent au trésor public à des limites fixées, comme C'est le cas au Maroc et en Egypte", a précisé l'ancien ministre du Commerce. Dans ce même ordre d'idées, il a fait savoir que le report de quelques échéances de dettes (crédits commerciaux) contractées auprès des institutions financières internationales (et non pas un rééchelonnement ou des emprunts obligataires) ainsi que la refonte fiscale,(élargir la base imposable) constituent également des solutions possibles et envisageables pour disposer de davantage de marges de manœuvre budgétaire. Stimuler l'investissement public et la consommation intérieure Mais qu'en est-il des politiques de relance sectorielle? Par quel moteur pourrait-on stimuler la croissance? Pour Mohsen Hassan, la réponse est évidente et claire, les politiques de relance post covid 19 doivent reposer essentiellement sur l'investissement public et la consommation. Aussi, selon notre expert, il est indispensable d'améliorer l'environnement des affaires en Tunisie pour qu'elle soit un site compétitif et attractif en termes d'IDE. "Avant de parler de relance économique, il faut se poser des questions sur la vision stratégique du gouvernement. Il y a certainement des mutations profondes que nous subissons aujourd'hui à l'échelle mondiale après la pandémie covid-19. Il y a des questions qui se posent sur le nouveau rôle de l'Etat et sur la mondialisation surtout avec ce qui se passe au niveau des chaînes de valeur mondiales qui sont en train de laisser leur place aux chaînes de valeur régionales", avance l'ancien ministre. Il a précisé, à ce sujet, que l'enjeu de demain pour la Tunisie est de s'orienter vers des secteurs stratégiques tels que les énergies renouvelables, l'économie numérique, l'industrie 4.0, l'industrie pharmaceutique et la santé, la recherche scientifique, l'agroalimentaire, etc. " Avec tout ce qui s'est passé avec le covid 19, il y a une rupture plus ou moins importante au niveau des chaînes de valeur mondiales au profit des chaînes de valeur régionales. Cette nouvelle donne nous oblige à revoir notre politique d'attraction des IDE. Aujourd'hui, le gouvernement doit être actif, pour mettre en place les politiques et les stratégies nécessaires afin d'attirer de nouveaux IDE, il faut réunir toutes les conditions nécessaires pour stimuler l'investissement privé. Aujourd'hui, il n'est pas normal que l'Etat n'intervienne pas pour bonifier le taux d'intérêt(le TMM en Tunisie est de 6,75%, au Maroc il vient d'être fixé à 1,5%). l'Etat doit mettre à la disposition des banques des lignes de financement".", a-t-il ajouté. En ce qui concerne la consommation intérieure, un des moteurs stimulant la croissance durant la période à venir, Mohsen Hassan a plaidé en faveur de"la carte fiscale" tout en consolidant la politique sociale. "On ne peut pas stimuler la consommation avec des menaces continues de réduire le salaire. Aujourd'hui, le niveau des salaires en Tunisie est trop bas par rapport aux pays concurrents. Le pouvoir d'achat ne cesse de se dégrader. L'Etat peut recourir à maintes solutions, pour augmenter le salaire réel, soit par la baisse de l'impôt sur le revenu, soit par la baisse de la TVA. Il faut jouer la carte fiscale pour stimuler la demande intérieure. Aussi, il est indispensable que l'Etat continue à aider les familles nécessiteuses, en continuant à améliorer le système d'information de notre politique sociale", a-t-il souligné. Restructuration des entreprises publiques Au sujet de l'investissement public, notre expert appelle à l'augmentation du budget alloué. "En cette période de crise, l'Etat doit être l'investisseur par excellence dans l'infrastructure, la santé, l'éducation, etc", explique-t-il. L'ancien ministre a également appelé à l'application et la mise en œuvre des grands projets, notamment de réforme qui sont en suspens comme la banque des régions, les textes d'application de la nouvelle loi sur l'économie sociale et solidaire. Enfin, dernier point mais non des moindres, la restructuration des entreprises. " La relance économique est tributaire de la restructuration des entreprises publiques. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont mis en place des plans de restructuration qui ont été approuvés par l'Ugtt mais qui sont restés lettre morte. On n'arrivera jamais à assurer la relance économique si on ne commence pas rapidement les plans de restructuration des entreprises publiques", a-t-il conclu.