Le titre du film évoque une coupe de cheveux, car tout se passe dans un salon de coiffure. Les frères Nasser, Arab et Tarzan, nous livrent ici un huis clos qui en dit long sur les affrontements internes entre Palestiniens. Les jumeaux du cinéma palestinien que nous avons eu le plaisir de découvrir à l'une des éditions du Fifak (Festival international du cinéma amateur de Kélibia), dans le cadre de la projection «spécial Palestine» et dans un documentaire intitulé «Gaza poster», ont encore «osé» mettre en lumière ce qui est sous la surface des choses. D'ailleurs, leur caméra courageuse leur a valu l'exil en Jordanie. Quoi de mieux que cette métaphore du lion volé au Zoo de Gaza par une famille qui habite en face du salon, et qui exhibe l'animal pour montrer sa puissance et son mépris pour les autorités ? Une métaphore qui n'est aucunement décorative et ne masque nullement le genre : le réalisme social. Il faut chercher la femme pour comprendre. C'est elle qui subit la folie des hommes. Et elles sont nombreuses dans le salon de Christina la Russe, qui, motivée par l'amour, a choisi de quitter l'enfer de la décadence pour vivre dans celui de la guerre. Ces femmes aux destins «dégradés» se font pourtant belles, pour sauver la face. Tout comme la mère de Arab, dont ce dernier a parlé avant la projection du film ...Celle-ci vit, bien entendu, à Gaza. Elle haletait lorsque son fils lui avait demandé de ses nouvelles au téléphone. Et ce n'étaient pas les tirs ni les bombardements qui l'avaient mis dans cet état. C'était le ménage, qu'elle aime faire tous les jours que le bon Dieu fait, pour que, si jamais sa demeure est détruite par les Israéliens et qu'elle-même n'est plus, il en resterait, au moins, le souvenir d'une femme propre qui s'occupait bien de sa maison. Le modèle de la mère nie la mort. Le producteur du film, quant à lui, en faisant allusion à l'attentat du mardi dernier, l'a si bien dit : la vie est plus forte que tout. C'est cette pensée défensive qui a motivé les auteurs de Dégradé. Leurs femmes qui, par moments, s'entretuent avec des mots, deviennent solidaires par la force des choses. Tour à tour, elles découvrent leurs blessures et finissent, ensemble, par ouvrir le rideau de fer du salon pour affronter le chaos du dehors. Leur solitude interne causée par la maladie, une grossesse pénible, un mariage incertain, un mari violent, un amant qui ment, un âge ingrat, une famille ingrate ou un sale caractère, n'est pas un échec, elle est le premier pas. Quelqu'un a dit que le changement ne peut venir que du chaos, mais il faut avoir le courage d'affronter le chaos. Et il faut toujours une nouvelle forme d'énergie pour raconter une réalité qui a trop duré. Celle des frères Nasser se ressource dans le cinéma du réel. La scène finale de leur premier long métrage de fiction — lorsqu'on quitte le salon où toutes ces femmes se retrouvent coincées en attendant la fin des combats — le confirme. La rue est à feu et à sang ; et la caméra, on dirait, ne contrôle rien. Elle est comme un regard perdu. Cette absurdité la dépasse. Et pour revenir au salon, il y a cette lumière qui évoque la chaleur et l'enfermement. Là aussi, la caméra est humaine. Elle regarde, entend, touche, goûte, sent ou presque, «salement», sans efforts, sans faire joli, sans vouloir crever l'écran. Mention spéciale à toutes ces actrices, surtout celles qui sont très peu connues et qui jouent nature.