Pourquoi chaque fois que journalistes et agents de sécurité se retrouvent sur un même champ d'action, leur face-à-face, aux motivations professionnelles, prend une mauvaise tournure ? Et, à plusieurs reprises, cela tourne à des agressions contre les représentants des médias. Et combien de fois, ces pratiques antidémocratiques ont été vivement dénoncées de part et d'autre. Le dernier constat a été fait lors de la couverture de l'attentat-suicide perpétré le 24 novembre dernier contre un bus de la garde présidentielle, faisant 12 morts et 20 blessés parmi les sécuritaires. Certes, on est tous sur un même front, contre un seul ennemi inconnu, mais la lutte antiterrorisme ne doit nullement être menée aux dépens de la liberté de la presse. D'autant que l'accès à l'information est un droit constitutionnalisé, légitimement invoqué par l'opinion publique. La guerre est aussi médiatique, à n'en point douter. Son apport n'est plus à démontrer. L'homme des médias, ce chroniqueur de l'actualité brûlante, n'a pas toujours le choix de l'instant. Son métier, aussi risqué soit-il, le pousse à rapporter les faits et immortaliser, de la sorte, le moment passé pour mieux voir son présent. Outre la protection, l'appareil sécuritaire semble, lui aussi, avoir la même vocation. En réalité, journaliste et policier ont, tous deux, un intérêt commun à dévoiler la vérité et rassurer le citoyen. Sans que chacun d'eux ne déroge aux règles professionnelles régissant sa profession. Au temps de Ben Ali, ce propos n'avait pas de sens. Pire, ces deux corps se regardaient en chiens de faïence. Depuis la révolution, les regards se tournent vers l'avenir. Et l'on croyait, alors, tourner la page pour pouvoir rattraper le temps perdu. Toutefois, comme l'avancent beaucoup d'observateurs, les manifestations de protestation ayant suivi le cours des événements ont été les meilleurs témoins et la preuve indéfectible que les rapports médias-police ne sont pas du tout au beau fixe. Sur la même ligne droite Rien n'a changé à ce niveau. Sauf que des formations mixtes leur ont été dispensées, ces dernières années, sur la manière d'agir en co-action et comment départager le même terrain d'intervention. Mais, que chacun sache, a priori, gérer son territoire, en connaissance de cause. Et c'est ainsi qu'on arrive aussi à délimiter les responsabilités de l'un et de l'autre. Car, toute profession a ses torts et ses raisons. Et là, les forces de l'ordre n'ont pas bien saisi le jeu de la démocratie. Comme certains médias, curieux et provocateurs, n'ont pas réussi à gagner la partie. A telle enseigne que l'excès de zèle des uns et des autres réussit toujours à plomber l'atmosphère. Tel fut le cas à la suite de l'attentat à l'explosif à Tunis, où des agents de sécurité ont fait subir aux journalistes et photographes leurs derniers outrages. « Alors qu'ils étaient dans les normes, tout en gardant un sang-froid face aux provocations de certains agents de police », a-t-on appris auprès du Centre de Tunis pour la liberté de la presse (Ctlp). Rapport d'observation sur le théâtre du crime à l'appui, ce dernier vient de relever qu'une quarantaine d'entre eux ont fait l'objet d'atteintes et d'agressions d'ordre physique et moral. Soit une atteinte flagrante à leur droit d'informer, s'indigne-t-il. Son équipe envoyée sur place, a-t-il encore ajouté, a pu établir une longue liste d'agressés, au bout de quatre heures de couverture médiatique, soit peu avant le couvre-feu décrété juste après le drame. Dans un communiqué, rendu public le lendemain de l'attentat qu'il avait également fermement dénoncé, ledit centre n'a pas manqué, par ailleurs, de fustiger une telle violence faite à l'encontre des journalistes tunisiens. Ces pratiques qu'on croyait révolues ne devraient, en aucun cas, se répéter, espère-t-il. Cela nous amène à dire que face à ces menaces terroristes, policiers et journalistes devraient être côte à côte, la main dans la main. La victoire sur ces fantômes intégristes, retranchés dans nos murs, ne saura être remportée qu'avec une information crédible, libre et responsable, soutenue par une véritable police républicaine. Pour mieux venir à bout de cette relation plus souvent conflictuelle, il faudrait s'en tenir à l'essentiel : nous sommes dans la même tranchée et tout contrôle défaillant de la situation risque de nous mener tout droit à l'inconnu. L'union « sacrée » brandie, avec prétention et à gorge déployée, vaut bien la messe. Toujours est-il que la couverture médiatique de l'actualité post-révolution pose encore problème et que l'intervention, parfois, musclée des forces de l'ordre lui fait de l'ombre. L'enjeu d'une coopération intercorporation apaisée demeure une exigence dictée par la conjoncture actuelle. Charte journalistique Le Ctlp, rappelle-t-on, a eu beau proposer, avec le concours de Reporters sans frontières (RSF), une série de recommandations visant l'établissement d'un cadre de compréhension mutuel, fruit d'un dialogue interactif entre journalistes et policiers. D'autres sessions de formation destinées à leur intention ont été, aussi, organisées. En vain. A quand nos forces de l'ordre vont comprendre que les médias sont aussi de la partie dans cette guerre sainte ? A-t-on, vraiment, besoin d'un code de conduite pour s'en sortir ? Tout porte à le croire. Le Ctlp, pour ne citer que lui, a déjà travaillé là-dessus. Il vient, en mai dernier, de concevoir une charte professionnelle servant comme document de référence en matière de couverture journalistique spécifique aux événements terroristes. S'y ajoute une méthodologie d'analyse des faits perçue comme modus operandi qui puise dans le respect des principes déontologiques de la profession. Autant dire, une sorte d'outils de travail susceptibles de défendre le journaliste et de favoriser sa protection dans l'exercice du métier qui consiste à dévoiler la vérité sans porter préjudice à qui que ce soit (otages, sécuritaires, militaires, témoins ou autres) ni diffuser, non plus, des images-chocs, tout en respectant la vie des gens et leurs données personnelles. Dans son rapport des faits, le journaliste doit faire preuve de crédibilité et d'impartialité, sans tomber dans la provocation et la manipulation. La même charte lui impose de savoir séparer le bon grain de l'ivraie, en allusion au choix de l'information ou du commentaire. Loin des discours de la haine et l'incitation à la violence. Le discours médiatique s'attache à ne plus déroger à la règle, afin qu'il ne soit plus, non plus, condamné d'apologie du terrorisme. De son côté, le policier doit agir en connaissance de cause. Sans pour autant oublier que l'homme des médias est la courroie de transmission qui se place au milieu du terrain. Mais, à défaut de maîtrise de soi et d'autorégulation, tout risque de verser dans le contresens.