De notre envoyé spécial Brahim OUESLATI La crainte de l'amalgame est plus que jamais perceptible dans le discours des opposants à ce projet et notamment chez les binationaux, et saisit les populations musulmanes déjà pointées du doigt à la suite des derniers attentats de Paris L'incroyable période de temps extrêmement clément et très doux propice aux magnifiques promenades dans cette ville de Paris qui s'est parée de ses plus beaux atours pendant les fêtes de fin d'année n'a pas atténué ce sentiment de peur et de crainte d'actes terroristes. Les attentats qui ont frappé la capitale française le 13 novembre dernier sont encore vivaces dans les esprits et les messes de Noël se sont déroulées sous haute surveillance. En plus du déploiement sans précédent de forces de police et militaires, les gens se sont mobilisés pour assurer la sécurité des lieux de culte. Mais si la phobie terroriste mobilise les Français, la déchéance de nationalité annoncée par le président François Hollande suite aux attentats de Paris et adoptée en Conseil des ministres mercredi dernier, divise la classe politique, y compris la majorité présidentielle et particulièrement le Parti socialiste qui commence à se fracturer. Le chef de l'Etat et son Premier ministre Manuel Valls persistent et signent. Ils ont décidé de l'étendre à tous les binationaux condamnés pour terrorisme, y compris ceux qui sont nés en France. Pour être explicite, elle sera appliquée aux personnes nées d'un ou de deux parents étrangers et ayant conservé leur nationalité d'origine. Dans une tribune publiée lundi 28 décembre, sur sa page Facebook, le Premier ministre n'en démord pas et défend corps et âme le projet, mettant en garde contre « tout amalgame qui pourrait profiter au Front national ». Pour lui, il s'agit tout simplement de « priver de la nationalité française ceux qui tuent aveuglément d'autres Français au nom d'une idéologie de terreur ». C'est « un acte symbolique fort qui sanctionne ceux qui se sont eux-mêmes exclus de la communauté nationale. Rien de moins, rien de plus ». Plus de 4 millions de binationaux Selon les statistiques, plus de 40% des immigrés vivant en France sont naturalisés français et représentent plus de 4 millions, soit environ 5% de la population totale. Les Maghrébins viennent en tête avec 66% de l'ensemble de la communauté installée en France, contre 55% pour les Turcs et qui forment le plus gros contingent des musulmans. Ils seraient, donc, les premiers concernés par cette mesure et craignent qu'en cas d'adoption, elle ne soit appliquée de manière systématique selon le faciès. Depuis l'annonce du maintien de la déchéance de nationalité dans le projet de révision constitutionnelle, les réactions s'enchaînent aussi bien à gauche qu'à droite que dans les rangs de la société civile. La droite dite républicaine, pourtant favorable à une telle mesure, s'est sentie « piégée » et n'a pas encore décidé si elle allait s'aligner sur la proposition de « l'usurpateur » François Hollande ou faire échec à son projet, ce qui l'affaiblirait davantage en prévision des élections de 2017. Alors que le Front national jubile, cette mesure serait une victoire idéologique pour lui. Dans le camp de gauche, c'est le malaise ambiant. Hollande est accusé de braconner à droite et jamais il n'a semblé « si loin des fondamentaux de son parti ». Et pourtant il persiste « contre l'idéal républicain, contre son parti et contre son parcours ». Près de 80% des députés de gauche sont hostiles à ce projet. Hella Kribi Romdhane, née de père tunisien et de mère marocaine et qui vient d'être réélue conseillère régionale en Ile de France sur la liste du président de l'Assemblée nationale, Claude Bartelone, lui aussi né en Tunisie, ne cache pas sa colère face au maintien de cette mesure dans le projet de révision constitutionnelle. Depuis plusieurs jours, affirme-t-elle, « je ne supporte pas le discours caricatural qui compare Hollande à Pétain, mais je ne supporte pas non plus les arguments de tous ceux qui atténuent l'impact désastreux qu'a déjà le projet d'inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Tous ceux qui cherchent des raisons, des prétextes se trompent. Je le vis dans mes tripes comme binationale sans l'avoir choisi, juste parce que j'hérite (avec bonheur car c'est une richesse) de l'histoire de mes parents. Cette annonce symbolique fait de moi et de beaucoup d'autres comme moi une Française suspecte. Moi qui suis une amoureuse de la République et qui y consacre même une part importante de ma vie. Le poids du symbole, rien que ça... Faisons le choix de la bataille culturelle plutôt que celui de la capitulation face à l'obscurantisme et la réaction! Faisons le choix de ce qui unit et protège, pas de ce qui divise et oppose ». Même son de cloche chez la vice-présidente PS du conseil départemental de Seine-Saint-Denis (et l'une des porte-parole du PS), Nadège Abomangoli, d'origine congolaise qui a raconté son « désarroi » de «militante de gauche, viscéralement républicaine, assumant sa binationalité franco-congolaise, et ses origines sociales », face à « une mesure complètement inefficace et qui divise, tout en jetant la suspicion et l'opprobre sur de nombreux Français ». Elle vit depuis plusieurs jours un « cauchemar », celui d'une citoyenne « ayant fait le choix de placer au-dessus de ces caractéristiques le triptyque républicain : Liberté, Egalité, Fraternité ». Cette déchéance est pour elle « une gifle, un coup de poignard asséné à nos parcours exemplaires au sein de ce pays que nous aimons, car c'est notre pays, et nous n'avons pas de patrie de rechange. Je ne peux concevoir que le droit du sol sacralisé par l'idéal républicain soit remplacé par le droit du sang ». Crainte d'amalgame De son côté, Abdessatar Klai, ce Keffois d'origine, ancien maire adjoint de la ville de Viry Chatillon, dans la banlieue parisienne, n'y va pas par plusieurs chemins. Il accuse François Hollande de remettre en cause « la cohésion nationale et le droit du sol tant défendu par tous les républicains de Gauche ». Il cite l'article premier de la Constitution française qui stipule que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Militant de gauche, longtemps proche de Jean Luc Mélenchon, cet ingénieur informaticien, marié avec une Française et ayant deux enfants nés en France, ne pense pas un seul instant « que l'Algérie, le Maroc, la Tunisie ou le Mali vont accueillir, sans broncher, au sortir de trente ans de prison, un individu qui a grandi en Ile-de-France au prétexte que la France l'a déchu de sa nationalité. Evidemment, non ! Imaginons un instant l'inverse... ». La crainte de l'amalgame est plus que jamais perceptible dans le discours des opposants à ce projet et notamment chez les binationaux, et saisit les populations musulmanes déjà pointées du doigt à la suite des derniers attentats de Paris. « Le contexte actuel et la montée des inquiétudes ambiantes attisent les peurs et les idéologies nauséabondes ». Et malgré les affirmations du Premier ministre français, Manuel Valls, « que la procédure ne concernera que très peu de personnes », et qu'elle «symbolisera l'exclusion définitive du pacte national de ceux qui ont commis des crimes terroristes», le projet suscite critiques et rejet. Et certains se demandent déjà : « Au prochain acte de terreur, quelle sera la réponse ? Dans la surenchère réactionnaire face à l'horreur djihadiste, que va-t-on proposer ? Un glissement progressif vers un retour à l'Ancien Régime ? ».