On s'attend à une séance plénière mouvementée lundi prochain au Palais du Bardo. Les nouveaux ministres de Habib Essid obtiendront sûrement la confiance, mais dans la douleur C'est finalement le politique qui l'emportera sur le juridique, puisque c'est l'article 144 du règlement intérieur de l'ARP qui sera appliqué à la place de l'article 92 de la Constitution. Certains juristes ont effet expliqué qu'en vertu de l'article 92 de la Constitution, le chef du gouvernement peut, dans le cadre de ses prérogatives, procéder à la «révocation et la réception de la démission d'un ou plusieurs membres du gouvernement, après consultation du président de la République lorsqu'il s'agit du ministre des Affaires étrangères ou du ministre de la Défense». Mais le texte reste muet quant aux modalités. Cela signifie-t-il que le chef du gouvernement peut le faire sans revenir au parlement, ou bien sa décision devra-t-elle être entérinée par la majorité absolue des parlementaires ? Et c'est bien l'article 144 du règlement intérieur de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui répond à la question en détaillant les modalités. Selon cet article, en effet, «le président de l'Assemblée convoque une réunion du bureau de l'Assemblée dans les deux (2) jours suivant la réception du dossier comprenant la demande de la tenue d'une séance de vote de confiance au gouvernement ou à un membre du gouvernement. Le bureau se charge, lors de sa réunion, de fixer une date de la séance plénière dans un délai d'une semaine de la réunion du bureau. Avant l'ouverture de la séance relative au vote de confiance au gouvernement, un dossier contenant un résumé du programme de travail du gouvernement ainsi qu'une brève présentation de ses membres est distribué aux membres de l'Assemblée». Tout semble bien clair, sauf que bémol : il s'agit toujours du règlement intérieur qui ne peut «juridiquement» pas être appliqué à la présidence du gouvernement. La présidente de l'Association tunisienne de droit constitutionnel comparé, Mouna Kraïem Dridi, va plus loin en expliquant d'abord que tout naturellement la constitution doit prévaloir sur tout autre texte, mais également que cet article est «anticonstitutionnel». Mais réuni hier, le bureau de l'Assemblée a décidé d'appliquer l'article 144 en fixant une séance plénière lundi. Sur le fond, les députés n'en finissent pas de commenter ce remaniement. Des commentaires qui donnent déjà le ton de la séance plénière de lundi qui sera vraisemblablement houleuse. L'occasion pour les députés frondeurs de Nida Tounès surtout ceux qui ont osé présenter leur démission et qui cherchent un positionnement à l'intérieur de l'hémicycle. Ainsi, le député démissionnaire Mustapha Ben Ahmed a fustigé le chef du gouvernement en estimant que le remaniement qu'il a opéré n'a «aucun sens politique si ce n'est renforcer l'alliance avec le parti Ennahdha». «La montagne a accouché d'une souris, c'est un remaniement de règlement de comptes tout simplement qui n'a aucun rapport avec la performance des ministres», a-t-il indiqué à La Presse. Plus acerbe encore, la position du Front populaire incarnée par Mongi Rahoui qui critique l'absence de motivation pour ce remaniement qui, «pour avoir un sens, devrait être accompagné d'un programme». Le député du Front populaire estime que faute de pouvoir provoquer un «choc positif», ce remaniement provoquera «un choc négatif» puisqu'il renforce le lien entre Nida Tounès et Ennahdha. «Grâce à ce remaniement, Ennahdha continue à étendre son pouvoir en anéantissant tous les efforts depuis 2013 des forces démocratique pour les en empêcher. Ennahdha cherche méthodiquement et avec succès à tirer les ficelles de l'économie. Ils ont déjà sous leur coupe l'Union des agriculteurs, la commission de l'agriculture au sein du parlement et le ministère de l'Agriculture. Ils ont également réussi maintenant à prendre la tête du ministère de l'Energie et des Mines et en même tempsla présidence de la commission de l'énergie et ainsi ils ont à la fois l'exécutif et le législatif». Bref, le chef du gouvernement aura cette fois à affronter une opposition offensive qui conteste notamment la nomination de M. Jhinaoui à la tête du ministère des Affaires étrangères, lui qui a fait ses armes dans un territoire supposé être «ennemi». Mais le chef du gouvernement devra aussi faire face à une majorité divisée qui ne manquera de le critiquer. Toutefois, il pourra compter, sans doute, sur le seul grand bloc qui reste indivisible, celui d'Ennahdha.