Youssef Rzouga nous entraîne à la suite de destinées en apparence triviales avant de nous faire plonger dans la réalité d'un pays embrasé par une mutation violente dictée par l'accumulation d'inhibitions de toutes sortes. Seule l'étonnante maturité de quelques-uns leur permet de digérer les faits et de se trouver une nouvelle voie. Au début, c'est l'écume des jours à ‘'Tarchiche'', le Tunis appelé ainsi du temps du roi Salomon, et autour de laquelle gravitent les événements de la première moitié de l'ouvrage... rien que des destinées triviales comme autant d'archétypes que nous pourrions identifier, à profusion, autour de nous. Des perles dans des existences, par ailleurs, improbables ! Du ‘'déjà vu!'' qui ne soulève pas les passions outre-mesure. La famille nécessiteuse dont le père, sans foi ni loi, ‘'vend'' son petit dernier, une toute petite fille de quelques mois, à des ‘'riches de la ville'' pour une poignée de dinars. Yassa, l'un des deux personnages de tête du roman, ne l'apprendra qu'à quinze ans et sombre dans une dépression dont ne la sort que le dévouement de sa nounou. Le couple de ‘'riches de la ville'' sans enfants, incapable d'en avoir par un aléa de la nature, incapable d'en aimer par un vice personnel à se voir comme le nombril du monde, uniquement voué à l'accumulation des richesses. Le jeune homme, Chammar (l'autre des deux personnages principaux), qui quitte son village natal pour l'Université pendant très longtemps après avoir découvert que son propre père avait une liaison avec la femme mûre qu'il ‘'fréquentait''. Fidèle à son titre ‘'Ricamo'' (en italien, broderie) jusqu'à la nausée, Youssef Rzouga en observe l'esprit à la lettre. Car si la broderie est l'art d'ajouter sur un tissu un motif plat ou en relief fait de fils simples, parfois en intégrant des matériaux tels que paillettes, perles, voire pierres précieuses, le roman va de la vie toute plate des uns à celle en grand relief des autres. On y découvre aussi bien des vies en paillettes, vouées à la frivolité la plus extrême, que des perles semées dans des existences par ailleurs improbables. On y tombe même sur de rares pierres précieuses dans le plus profond de l'être, tel que le dévouement de Chammar à Yassa envers et contre tout et tous. Une étonnante maturité pour digérer les faits C'est de la sorte, en brodant, que Youssef Rzouga nous conduit de la chronique de ces destinées triviales à la réalité d'un pays embrasé par une mutation violente dictée par l'accumulation d'inhibitions de toutes sortes... quand le 14 janvier prend tout le monde de court. Chacun à sa manière, les deux héros du roman font preuve d'une étonnante maturité qui leur permet de digérer les faits et de se trouver une nouvelle voie. D'abord Chammar, qui n'a en vérité rien à se reprocher, car s'étant interdit toutes les indécences toute sa vie, décide d'arrêter là son existence de haut cadre à ‘'Tarchiche'' et de retourner à son village natal ‘'Wad el assal'' (Vallée du miel) où il compte vivre en quasi ermite. Puis Yassa, qui abandonne son journal mais garde sa vocation de journaliste d'investigation, décidant de partir en reportage pour la Syrie, là où tout s'enflamme, un peu par la passion du métier, un peu pour fuir des menaces sur sa vie et celle de sa fille car elle avait épousé un magnat trop proche du régime déchu. Avant de partir, elle se rend à ‘'Wad el assal'' pour y confier sa fille, Asma, à son amoureux Chammar, le seul en lequel elle n'ait jamais eu irréversiblement confiance. En Syrie, Yassa rencontre un ex-soupirant recyclé dans le Jihad ‘'pour autre chose'' sans cesser d'être romantique, décrivant la Syrie transformée en champs de ruines comme la quintessence du ‘'génie de l'endroit''. Une trop grande implication qui lui vaut des menaces sur sa vie, encore une fois. Et ce n'est que plus tard que, réfugiée dans un pays scandinave après ses péripéties syriennes, elle lui confiera par e-mail que Asma n'est rien d'autre que leur ‘'tronc commun''. L'ouvrage ‘'Ricamo'', 244 p., mouture arabe par Youssef Rzouga Editions Zayneb, 2015 Disponible à la Librairie Al Kitab, Tunis