Par Bady BEN NACEUR Si vous ouvrez le Petit Robert, à propos de ce vocable, c'est au poète Charles Baudelaire qu'échoit la meilleure définition, la vraie, car n'est pas dandy n'importe qui. La voici : «Le dandysme n'est pas... un goût immodéré de la toilette et de l'élégance matérielle. Ces choses ne sont, pour le parfait dandy, qu'un symbole de la supériorité aristocratique de son esprit». Ce vocable d'origine anglaise est né, à Paris, en 1830. Le poète de «Les fleurs du mal» était un parfait dandy. Trop même puisque, comme le soulignait Chateaubriand sans doute à l'égard de gens comme lui «le dandy doit avoir un air conquérant, léger, insolent». Baudelaire n'avait pas que des qualités sous l'habit emprunté du dandysme. C'était un grand insolent et vous pouvez retrouver dans les «Petits poèmes en prose» au moins deux exemples frappants — pour ne pas dire odieux — de ce goût immodéré qu'il avait pour l'insolence. Dans «Le mauvais vitrier», un pauvre marchand ambulant qui a la voix qui «dérange», le poète, pour le punir, lui fait monter les cinq étages difficiles qui mènent à sa mansarde et voyant sa pauvre marchandise, il la bouscule et lui déclare : «Impudent que vous êtes, vous n'avez que des vitres en couleurs et vous osez vous hasarder dans ce quartier !» (la rue Hautefeuille). Puis quand le pauvre, extasié par cet acte, ne manque pas de jeter un pot de fleur «verticalement», sur le reste de sa marchandise en lui criant : «La vie en beau mon cher, la vie en beau !». L'autre exemple est celui d'un mendiant qui le harcèle, à l'entrée d'un estaminet. Il va, pour cela, casser la branche d'un arbre et le rouer de coups. Puis après lui avoir cassé une dent, il ouvre sa bourse et lui donne la moitié de son argent, pour... calmer le jeu ! Charles Baudelaire était un addict aux alcools et à la drogue dont il avait rapporté ses «expériences», à travers ses écrits. Il fréquentait d'ailleurs le «Club des Haschichins» à l'hôtel Pimodan, à Paris, que fréquentaient assidûment les poètes (Théophile Gautier, son maître et ami vénéré) et les peintres, comme Delacroix. Le vocable de «dandy» n'est plus utilisé depuis longtemps, comme celui de «smart» dans l'œuvre proustienne. On lui préfère, aujourd'hui, celui de «in» ou «avoir de la classe», être «moderne», «de son temps»... Et le dandysme n'est plus qu'affaire d'habit et de paraître... pas comme les autres. Dans la société tunisienne, j'ai eu l'occasion de rencontrer certains de ces personnages (la persona, c'est le masque!). Dans les milieux artistiques, les vernissages, les réceptions et même chez certains politiques, ces gens «conquérants», «légers» mais pas forcément «insolents» ou si peu... Depuis la révolution tunisienne, on ne les voit presque plus. Ils ont disparu de la circulation et, avec eux, les milieux huppés du grand-Tunis et d'ailleurs. Plusieurs d'entre eux, aussi, ont carrément quitté le pays, emportant avec eux tout le nécessaire pour «la toilette et l'élégance matérielle». Ils ont été se faire voir ailleurs... Dans la société traditionnelle — tunisoise, en particulier — on rencontre encore certains de ces personnages à «la supériorité aristocratique de l'esprit» fringués à l'ancienne — comme dans les feuilletons turcs — et racés comme il se doit. Surtout à l'occasion des grandes fêtes. Religieuses, notamment. Mais il y a, aussi, de plus jeunes qu'eux qui se veulent «modernes» et de leur temps. Une question de fringues de la dernière mode. Un smoking ou même un blazer et un jean. D'autres moins nantis, mais voulant préserver leur allure, conquérante et légère, vont même s'habiller à la fripe du quartier. Cette forme de «dandysme» à la tunisienne est encore une sorte de rempart contre l'habit emprunté d'un Islam rigoureux et qui ne sied ni à la société ni à notre temps. Regardez, chers lecteurs, la chaîne nippone NHK World (sur Nilsat). les Japonais s'habillent de tradition, comme de modernité. Et ils savent faire la part des choses en respectant, à leur juste valeur, l'une comme l'autre.