Par Brahim OUESLATI L'Institut tunisien des études stratégiques (Ites) vient d'engager, à la demande du président de la République, Béji Caïd Essebsi, une étude prospective sur « La Tunisie dans dix ans, un Etat résilient, émergeant et concilié avec lui-même ». Cette étude transversale ambitionne d'engager une profonde réflexion sur les véritables enjeux de la prochaine étape, d'identifier les principales questions qui se poseront au pays à l'horizon 2026 et de dresser les contours de ce que sera la Tunisie dans une dizaine d'années. Son nouveau directeur général, Hatem Ben Salem, un universitaire rompu à ce genre de questions et un homme d'expérience pour avoir occupé plusieurs postes de responsabilité, comme ministre de l'Education notamment, semble bien s'inspirer des meilleures pratiques en matière de prospection stratégique. Profitant d'un séminaire organisé à Tunis le 18 janvier sur l'expérience française, il a signé un protocole d'accord avec son homologue français, Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, France Stratégie, l'équivalent de l'Ites chez nous. France Stratégie a déjà réalisé une étude prospective sur « Quelle France dans dix ans ?» Entamée en été 2013, à la demande du président français, elle a été achevée une année plus tard par la publication, en juin 2014, d'un rapport de plus de 350 pages contenant quatre grandes parties avec plusieurs chapitres chacune. C'est le résultat d'un vaste travail d'analyse et de débats ayant réuni plusieurs centaines de compétences, de diverses formations et sensibilités. La plupart des études, des enquêtes et des rapports réalisés jusque-là en Tunisie ont péché par un manque de prospection et d'analyse en profondeur sur les grands défis du moment et les principales questions de l'avenir du pays. Ils se sont, pour la plupart du temps, basés sur de simples sondages d'opinions mal administrés, ou encore les résultats de séminaires ou de débats sans objectifs stratégiques. Nonobstant ces lacunes, les résultats sont assez édifiants et indiquent que les Tunisiens sont inquiets pour leur avenir et pour l'avenir de leur pays. Une dissonance si constante qu'il faudrait lui prêter toute l'attention nécessaire. Les Tunisiens ont perdu confiance dans les institutions politiques qui incluent essentiellement les partis et également dans les institutions économiques et sociales qui englobent, notamment, les entreprises, les organisations sociales, la justice, l'école... C'est pourquoi l'annonce d'une étude qui se veut prospective, centrée sur les enjeux et les défis auxquels les Tunisiens seront confrontés dans une décennie et qui, de surcroît, doit proposer une série de champs et d'orientations prioritaires, pourra, si elle est bien menée, répondre aux questions de l'heure et aux préoccupations de l'avenir. Les jeunes, l'avenir du pays Cette étude va se focaliser sur sept principaux thèmes : société et institutions, équité régionale et gouvernance locale, défense et sécurité nationales, fondements de la croissance et du développement économique, contrat social, culture et éducation et repositionnement international de la Tunisie. Or, parler de la Tunisie dans dix ans, en omettant de placer le curseur sur ses jeunes qui forment près du tiers de la population et qui sont le présent et l'avenir du pays, est un peu surprenant. Certes, pourrait-on rétorquer, la jeunesse est un tout, qui plus est un secteur transversal, et qui pourrait se retrouver dans pratiquement tous les thèmes proposés. Mais justement parce qu'il s'agit d'un secteur transversal qu'il faudrait le distinguer et le mettre en valeur. D'autant plus que la situation de la jeunesse est plus que préoccupante. Les jeunes souffrent d'une forme d'exclusion qui s'est aggravée après le 14 janvier 2011. Les milliers d'entre eux qui avaient scandé « emploi, liberté, dignité » se sont progressivement trouvés en proie aux maux sécrétés par un faux printemps auquel ils ont pourtant cru. En l'absence d'une politique nationale de jeunesse, conçue et mise en place à la lumière des développements qu'a connus le pays au cours des dernières années, les gouvernements successifs n'ont pas mis la question de la jeunesse au cœur de l'actualité. Les causes de cette décrépitude sont connues mais elles méritent d'être appréhendées avec plus de prospection et d'analyse pour apporter des réponses aux préoccupations d'une jeunesse en rupture de ban avec la société et fâchée avec des institutions qui regardent ailleurs au lieu de se pencher sérieusement sur ses problèmes. Il paraît évident pour tout observateur averti que tout est lié à la question de la jeunesse, et la présence de ce secteur stratégique comme thème à part dans l'étude engagée par l'Ites devrait être une priorité. Une omission qui devrait être réparée. L'avenir du pays, c'est sa jeunesse.