Nida Tounès, on en parlera encore et toujours. Le parti cher à Béji Caïd Essebsi, son fondateur, est parti en miettes et ce qu'il en reste n'est plus qu'une fausse résonance de cette formation qui a réussi, en moins de trois ans d'existence, à créer l'équilibre sur la scène politique nationale et à se hisser à la première place, devant le parti islamiste d'Ennahdha, beaucoup plus rodé et mieux structuré. Les frères d'hier sont devenus les ennemis d'aujourd'hui et chacun est allé de son côté amenant dans ses sillages partisans et courtisans, laissant la base des militants dans l'imbroglio total. C'est l'effritement des onze membres fondateurs dont un seul, Ridha Belhaj, le directeur du cabinet présidentiel, fait partie de la nouvelle direction issue du congrès dit « consensuel » de Sousse tenu les 9 et 10 janvier. L'autre membre fondateur, Boujemaa Remili, a pratiquement disparu de la circulation. Figurant dans la nouvelle instance politique annoncée à la fin du congrès et composée de 14 nouveaux secrétaires nationaux, il a, dès le lendemain, vigoureusement contesté les résultats du congrès, les qualifiant « d'épuration ethnique » comparable à « ce qui s'est passé en Bosnie Herzégovine !». Il a appelé à la démission de la nouvelle direction du parti et a proposé de réunir « le défunt » bureau exécutif afin de choisir une nouvelle équipe restreinte pour diriger les affaires courantes et la formation d'une commission indépendante qui sera chargée de l'organisation d'un congrès électif. Mais son appel est tombé dans de sourdes oreilles. C'est pourquoi, il n'a pas assisté à la réunion de vendredi 21 janvier au cours de laquelle il a été procédé à la désignation d'une nouvelle direction collégiale composée de dix unités dont une en charge des relations avec les partis et du suivi de l'action gouvernementale dirigée par Boujemaa Remili et Faouzi Elloumi. Et si ce dernier a clairement affirmé son rejet de cette nouvelle répartition des tâches, annonçant la création d'un courant « l'espoir » au sein du parti, Remili s'est cantonné dans un silence fort révélateur, se contentant de poster ses positions sur sa page Facebook et de quelques apparitions dans certains plateaux.. « Déclarer le congrès de Sousse nul et non avenu » Contacté, à ce propos, Boujemaa a tout d'abord réaffirmé son rejet des résultats du congrès de Sousse qui, a-t-il dit, s'est retourné contre la feuille de route de la commission des 13. « C'est un véritable putsch. Ce congrès doit être déclaré nul et non avenu ». Jugeant la situation grave, mais non irréversible, il entretient l'espoir que « Nida Tounès pourrait renaître de ses cendres ». Un phénix ! Il tient à indiquer qu'il faudrait « protéger les institutions de la République, à savoir la présidence, l'ARP et le gouvernement des tiraillements politiques et les éloigner de la crise de Nida Tounès » qui impacte toute la scène nationale. « Habib Essid et Ridha Belhaj se doivent d'éviter de s'immiscer dans les affaires du parti ». Ce genre d'interférence ne pourrait que « nuire à l'image des deux institutions ». Et d'ajouter : « Je ne me retire pas du parti, comme l'ont fait d'autres. Je préfère prendre un peu de recul, geler momentanément mes activités, sans pour autant rester inactif. Je ne suis pas un homme de clans, mais plutôt quelqu'un qui a toujours privilégié le consensus. Pour le moment, je consulte, je récolte les avis et je jauge les réactions en vue de faire dégager une troisième voie qui pourrait rassembler autour d'elle beaucoup de militants. Je n'abandonne pas la barque, pour faire un saut dans l'inconnu ». S'il fustige l'initiative de son ancien collègue Mohsen Marzouk, il n'épargne pas de ses critiques la nouvelle direction. « Je vois mal, confie-t-il, que ceux qui se sont emparés de la direction de Nida Tounès sont capables de gérer un parti en pleine décomposition. Au contraire, ils n'ont fait qu'approfondir le fossé et consacrer la rupture totale ». Le seul fondateur qui n'a obtenu aucun poste Homme de gauche, Boujemaa Remili fait partie de ces dirigeants politiques qui privilégient le dialogue à la confrontation et qui préfèrent la discrétion plutôt que l'ostentation. Affable et d'un abord facile et jouissant d'une bonne réputation au sein de la classe politique, cet ancien militant du Parti communiste tunisien, devenu mouvement Ettajdid puis Pôle démocratique moderniste, a rallié, en 2012, Béji Caïd Essebsi pour fonder avec lui et d'autres personnalités, comme Mohsen Marzouk, Lazhar Akremi, Taïeb Baccouche, Lazhar Karoui Chebbi, Ridha Belhaj, Selma Elloumi et d'autres... le mouvement Nida Tounès en juin 2012. Originaire de la région Nord-Ouest et plus précisément de Siliana, il est le seul membre du comité fondateur à ne pas avoir obtenu un quelconque poste, soit comme député de l'ARP, soit comme membre du gouvernement Essid. « Je n'en veux pas », dit-il. Par contre, il a hérité, après la promotion de ses autres collègues, de la direction exécutive du parti laissée vacante suite à la nomination de Ridha Belhaj comme directeur du cabinet présidentiel. Presqu'abandonné à son propre sort, à un moment où le parti traversait des zones de turbulences, par la plupart des dirigeants de Nida, pris dans les luttes intestines, il disait qu'il « était un directeur exécutif qui n'exécutait rien mais qui était devenu un simple exécutant ». En pleine « guerre fratricide », Boujemaa a essayé d'accorder les violons, en prêchant l'unité et le rassemblement, soutenu en cela par le nouveau président de Nida Tounès, Mohamed Ennaceur. Retourner aux fondamentaux du parti Et alors qu'il s'est déclaré résolument opposé au processus de Djerba, Boujemaa Remili se retrouve dans la commission des 13 formée par le président de la République pour préparer une feuille en vue de la résolution de la crise de Nida Tounès. « C'était, explique-t-il, par souci de dégager une feuille de route qui soit acceptée par tout le monde. C'est pourquoi je suis allé à Sousse dans le but de participer à la validation du plan de sauvetage. Mais, malheureusement, la feuille de route a été complètement ignorée » et le congrès est devenu « souverain » pour « imposer » une nouvelle formule hybride, vite abandonnée par ses concepteurs. Une instance politique composée de 14 secrétaires nationaux avec Hafedh Caid Essebsi comme directeur exécutif et représentant légal du parti. La troisième voie qu'il prône repose sur le retour « aux fondamentaux du mouvement créé par Béji Caïd Essebsi ». C'est-à-dire « ressusciter le bureau exécutif qui, explique-t-il, n'a pas été dissous par la commission des 13, ainsi que la création d'une commission neutre pour se charger des préparatifs et de l'organisation d'un congrès électif, dans les plus brefs délais, avec le soutien des organisations de la société civile». Il propose la formation « d'un comité restreint de cinq ou six dirigeants pour gérer les affaires du parti » et croit dur comme fer qu'il ralliera à « sa bonne cause » plusieurs autres dirigeants, « y compris parmi ceux qui ont rejoint l'initiative de Mohsen Marzouk et d'autres personnalités influentes dans le courant destourien qui, bien que déçues par la tournure prise par le congrès de Sousse, gardent un brin d'optimisme ». Car, pour lui, «point de salut pour le parti en dehors du parti ». Boujemaa aura été le dernier des fondateurs qui se bat encore pour sauver ce qui reste d'un parti en plein effritement, du moins à retrouver les épaves d'une barque qui a complètement coulé. Par définition, la troisième voie signifie le rejet des deux autres, celles de Mohsen Marzouk et de Hafedh Caïd Essebsi. Et si Boujemaa Remili affiche une volonté d'y arriver, en a-t-il réellement les moyens ?