Par Abdelhamid GMATI La détérioration de la situation économique et sociale de la Tunisie est engendrée par l'expérience de l'islam politique. C'est ce qu'a déclaré le président de la République le 28 janvier dernier à Bahreïn. Et il ajoutait : « Les leaders de l'islam politique ont été indulgents avec les terroristes et les groupes extrémistes ». Le mouvement Ennahdha, visé par ces propos, a réagi sans se démonter : « Ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare », a répondu le dirigeant islamiste, Ajmi Lourimi, invoquant même une probable mauvaise interprétation de cette déclaration. Un autre dirigeant d'Ennahdha, Lotfi Zitoun, expliqua que « le président de la République pensait toujours à l'intérêt national, et ce, aussi bien dans ses déclarations que dans ses actions ». Quelques jours plus tard, dans une interview accordée à notre journal (dimanche dernier), Beji Caïd Essebsi affirmait : « C'est moi qui ai cédé le pouvoir à Ennahdha, à l'issue d'élections dont personne n'a contesté l'intégrité ». Son attitude « était naturelle dans le cadre de l'instauration du principe de l'alternance pacifique du pouvoir ». Et il ajoutait : « Il s'est avéré que les nouveaux gouvernants se comportaient comme s'ils étaient des permanents et ils ont essayé de modifier le modèle sociétal tunisien instauré par l'Etat de l'indépendance... La précipitation des mouvements ikhwanistes et leur volonté de dominer les rouages de l'Etat et de l'administration ont contribué au dévoilement de leur plan qui consistait à confisquer les avantages des révolutions et à les inscrire dans une trajectoire opposée à la liberté et à l'Etat civil ». Depuis, il y a eu les élections de 2014 dont les résultats ont débouché sur une coalition incluant les islamistes. Et Caïd Essebsi d'expliquer : « Ennahdha est venu à la «coalition» en sachant que le programme du pouvoir se fonde sur une constitution civile qui a rompu définitivement avec son rêve idéologique visant à instaurer un Etat religieux ». Les nahdhaouis se font discrets depuis qu'ils sont associés au pouvoir et dans leurs déclarations, ils jouent le jeu de la démocratie. Mais est-ce bien sûr ? Certains comportements sont pour le moins questionnables. Il y a quelques jours, la ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, Samira Merai Friâa, qui avait ordonné la fermeture des jardins d'enfants coraniques (kouttab), expliquait : « Il existe des jardins d'enfants anarchiques et illégaux qui se présentent comme étant des espaces coraniques alors qu'ils n'ont aucun lien avec l'islam. Ces espaces ne visent pas à inculquer les vraies valeurs de l'islam, mais « contribuent à ternir son image, en enracinant chez les enfants le sentiment de la peur et de l'angoisse à travers l'enseignement du châtiment de la tombe et en personnifiant les ténèbres de l'enfer au lieu d'apprendre aux petits l'amour de Dieu». Il n'en fallait pas plus pour déclencher une campagne calomnieuse de la part d'islamistes visant la personne de la ministre. Même le député nahdhaoui Noureddine Bhiri a interpellé la ministre estimant que les écoles coraniques fermées ont été calomniées et que les responsables veulent remplacer l'enseignement du Coran ». On se rappelle les événements qui ont lieu en octobre et novembre derniers à la mosquée Sidi Lakhmi de Sfax, suite au limogeage de l'imam Ridha Jaouadi, considéré comme un extrémiste tenant des prêches politiques, incitant au jihad et à la violence. Une vingtaine d'imams, sur un total de 18.000, ont été limogés et 80 mosquées fermées, par le ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh, pour « incitation au terrorisme ». Le ministre fit l'objet d'une grande campagne de calomnie et certains dirigeants d'Ennahdha déclarèrent leur opposition à ces décisions. Tant et si bien que Othman Battikh fut désavoué et limogé. Il se trouve même traîné en justice suite à une plainte d'un avocat islamiste, pour un soupçon de corruption dans l'organisation du hajj, le pèlerinage à La Mecque. Les mosquées et les imams continuent leur travail d'endoctrinement. Il y a quelques jours, un imam de Ousja (gouvernorat de Bizerte) a refusé de conduire la prière des morts pour deux agents de la sécurité, sous le prétexte spécieux que les défunts « ne pratiquaient pas la prière ». Mardi dernier, à Bizerte, une mosquée située dans le quartier des Andalous a été fermée suite à des renseignements sur « la probable existence d'armes ». Une perquisition a permis la découverte d'un tunnel, creusé sous la mosquée. Dans quel but ? Les dirigeants d'Ennahdha ne cessent de répéter qu'ils n'ont aucun lien avec les Frères musulmans. Or le 23 janvier dernier se tenait à Paris, dans la plus grande discrétion, la conférence de l'Alliance des associations pour la démocratie et des libertés qui réunissait un grand nombre de dirigeants des Frères musulmans venant de plusieurs pays. Y participaient, pour la Tunisie, l'ex-ministre nahdhaoui Abdellatif Mekki, Imed Daïmi et l'ex-président de la République, Moncef Marzouki. Et il y a quelques jours, le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, s'est entretenu avec le Premier ministre turc. Tout cela est perturbant. Le mouvement Ennahdha se déclare attaché à la démocratie et au modèle sociétal tunisien. Mais dans les faits, ses comportements indiquent qu'il n'a pas renoncé à son projet islamiste et à ses alliances avec les frérots. Cela incite à penser qu'il y a là des manœuvres sous le couvert de déclarations démocratiques lénifiantes.