Des fleurons qui faisaient jadis la fierté de la ville, à l'instar du palais beylical (Dar el Bey), le Casino, Hammam-Essouri, le mausolée Sidi Bouriga et l'église, connaissent une déchéance désolante et révoltante L'anarchie a gangrené ces dernières années plusieurs villes du pays, en s'appuyant sur un laxisme flagrant des autorités. Des constructions anarchiques de tous genres ont vu le jour un peu partout sans parler de la pollution régnante dans plusieurs quartiers. Parmi les villes les plus touchées, Hammam-Lif doit certainement occuper la première place, car complètement défigurée. On est loin de la belle époque où la cité balnéaire resplendissait, affichant avec fierté sa splendeur architecturale sublimée par la Mare Nostrum et l'imposant Boukornine. Ses sources thermales apaisaient différents maux et sa plage était la destination de tous les Tunisiens. Mais le plus inquiétant et alarmant demeure, sans conteste, l'état des monuments historiques de la ville, ses fleurons qui faisaient jadis sa fierté, à l'instar du palais beylical (Dar el Bey), le Casino, Hammam-Essouri, le mausolée Sidi Bouriga, ravagé par un incendie en 2014 (actuellement en cours de restauration), et l'église, qui connaissent une déchéance désolante et révoltante. Des bâtiments classés patrimoine national sont complètement délabrés et à l'abandon. Le palais beylical d'Hammam-Lif, grandeur et décadence Des images diffusées récemment sur les réseaux sociaux montrent un état de délabrement désastreux du palais beylical d'Hammam-Lif. Sur place, nous nous sommes heurtés à une image catastrophique et désolante: une façade complètement en ruine et défigurée; une cour extérieure ravagée par les détritus et des murs en lambeaux. Pas moyen d'accéder à l'intérieur du bâtiment squatté par des habitants hostiles. Complètement délabré, le palais beylical ne garde rien de son aura d'antan et n'est que l'ombre de lui-même. Nul besoin de rappeler la valeur historique, architecturale et patrimoniale de ce monument, témoin d'une partie de l'histoire et vestige de la dynastie husseïnite. Le palais servait de résidence aux beys durant l'hiver. Ils venaient profiter des eaux chaudes jaillissant du Boukornine pour soigner leurs rhumatismes. Ce palais a, même, accueilli, entre ses murs, de prestigieux écrivains, comme Gustave Flaubert, Georges Duhamel et Guy de Maupassant qui y ont fait une cure au XIXe siècle. Témoin d'un âge d'or révolu, le palais d'Hammam-Lif est complètement défiguré au grand désespoir des habitants de la ville. Rappelons qu'au lendemain de l'instauration de la République, les autorités locales l'ont détourné de sa vocation initiale. Il aurait été, selon l'ancien ministre, Noureddine Ketari (dans un article paru en 2011), «cédé par Bourguiba à un ancien résistant, Sassi Lassoued, afin de calmer ses prétentions politiques» pour être ensuite affecté à la création d'un centre de formation professionnelle pour jeunes filles. Sous le régime de Ben Ali, ses pièces ont servi de bureaux aux cellules politiques du parti en règne. A défaut de le conserver et complètement délaissé par les autorités locales et nationales, il a fini par être pillé, vandalisé et squatté. Il est devenu, actuellement, une véritable «Oukala», abri de fortune pour des familles pauvres. Après la révolution, de nombreux appels ont été pourtant lancés à travers les médias et les réseaux sociaux et des pétitions ont été signées pour sauver ce patrimoine, mais sont demeurées sans réponse. «Le jour où les autorités interviendront, il ne restera plus rien de ce monument», déclare dans un cri de désespoir une habitante que nous avons rencontrée sur les lieux et qui affirme ne pas pouvoir s'approcher du palais pour prendre des photos. Face aux promesses non tenues et au laxisme quasi général des autorités concernées qui continuent à se déresponsabiliser en invoquant des arguments liés à des problèmes de budget ou d'ordre foncier; c'est encore la société civile qui s'est imposée comme unique rempart face au désastre. Des associations, avec l'aide de la population, se sont mobilisées et organisées pour réagir par le biais de la sensibilisation, en appelant les autorités à s'impliquer et en entamant des actions concrètes. Récemment, le ministère de la Culture a annoncé la tenue d'une réunion de travail, le 4 mars prochain, avec la participation de représentants des structures concernées, à l'instar du ministère des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières, le gouvernorat de Ben Arous et la municipalité d'Hammam-Lif, afin de discuter sur les possibilités de conservation du palais beylical. Le ministère a par ailleurs indiqué que ce monument est sous l'exploitation de la municipalité et plusieurs autres parties. De l'urgence de sauver Entre autres associations, l'association Sidi Bourigua pour la sauvegarde du patrimoine d'Hammam-Lif œuvre depuis sa création en 2014 à la sauvegarde du patrimoine de la ville. «L'association a été fondée suite à l'incendie qui a ravagé, le 3 août 2014, le mausolée Sidi Bourigua; le saint patron de la ville», nous informe son directeur exécutif, M. Khlaled El Hammi, que nous avons rencontré dans le site du mausolée en cours de restauration. «Un besoin urgent de préserver cette partie de la mémoire des Hammamlifois qui ont été profondément bouleversés par cet acte», a-t-il ajouté. Comme l'indique son nom, l'association s'est fixée comme objectif de conserver le patrimoine (matériel et immatériel) par le biais de la sensibilisation, de l'éducation, mais aussi à travers des actions de restauration. Suite à un accord signé en décembre dernier avec l'Institut du patrimoine national, qui a apporté l'assistance technique, les travaux de restauration du mausolée Sidi Bourigua ont été entamés début janvier 2016 (et l'annexe qui fera office du siège de l'association). «Notre action s'inscrit dans l'urgence car dans le cas d'Hammam-Lif, il s'agit plus de sauvetage que de sauvegarde de nos monuments qui sont en péril». Pour ce qui est de Dar El Bey, M. Hammi a appelé les autorités concernées à s'impliquer pour sauver ce joyau du patrimoine national, abandonné depuis des décennies, rappelant le laxisme quasi général des structures gouvernementales. Les actions de l'association vont inclure d'autres sites, à l‘instar du casino et de l'église de la ville (actuellement exploitée par la municipalité). M. Hammi nous a informé également que cet état d'abandon touche également des sites archéologiques dont jouit la Ville d'Hammam-Lif : un site situé à la Cité Ibn Rachiq qui, malgré les pillages, recèle entre autres des thermes, des bassins en mosaïque datant probablement de l'époque romaine et qui servent actuellement de vide-ordures. Un autre site est en péril, situé à la Cité municipale à 20 mètres du théâtre de plein air. «Les autorités locales, régionales et nationales ont été alertées et les citoyens sont appelés à réagir afin de les préserver», a-t-il noté.