Comme tous les pays ayant des côtes, la Tunisie est aussi victime de la pêche illégale, de la surpêche et de la raréfaction des ressources. Face à cette situation qui ne cesse de prendre de l'ampleur, les pêcheurs traditionnels trouvent la mer tel un désert vide sans vie et sans poissons. Et selon le Fdtes, le bilan est, aujourd'hui, lourd et onéreux puisque les données confirment que ce secteur est dans un état de crise écologique, et c'est donc toute l'économie de la pêche et la protection sociale qu'elle apporte qui sont menacées. Victime de trafic de pêche, l'île de Kerkennah voit ses stocks de poissons s'effondrer et se vider à la vitesse grand V et ce qui reste de ses stocks de poissons est, aujourd'hui, en grand danger à cause du braconnage en mer et le banditisme qui persistent depuis quelques années. Ainsi, la régénération de l'écosystème marin doit être une priorité absolue pour notre gouvernement afin de garantir la survie des artisans pêcheurs et des générations futures. Tel est le constat dressé par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) dans sa nouvelle enquête auprès des petits pêcheurs sur la situation du secteur de la pêche côtière dans les régions de Teboulba, Kerkennah et Zarzis. A Kerkennah, les résultats de l'enquête auprès de 250 petits pêcheurs montrent que ce secteur souffre du problème de la dégradation et de la régression des ressources maritimes, ce qui provoque une raréfaction voire une disparition de certaines espèces, tout comme ils sont exposés aussi aux problèmes de pollution par les eaux rouges (eutrophisation), ainsi que la propagation du phénomène de migration non réglementaire. La pêche n'attire plus... Sur le plan socio-démographique, le taux d'absorption des jeunes de moins de 30 ans par ce secteur tend à diminuer d'une année à l'autre, témoignant d'une désaffection, alors que l'on assiste à un vieillissement de la population des pêcheurs où la pêche offre les seuls débouchés pour les jeunes de l'archipel. Cette situation est expliquée par la montée de l'émigration non réglementaire surtout chez les jeunes ; un phénomène qui ne cesse de prendre une ampleur inquiétante sur tout le territoire. En effet, la situation économique et financière figée, le manque de moyens financiers et des perspectives d'emploi dans la région figurent parmi les causes principales de la prolifération de cette nouvelle forme de migration qui s'est beaucoup développée en raison de l'absence totale de toute forme d'encadrement des jeunes. Pour le savoir-faire du métier de la pêche dans la région, il se transmet dans la majorité des cas d'une génération à l'autre avec de petites modifications plutôt superficielles que structurelles. En outre, tous les pêcheurs enquêtés ont répondu par «Non» sur la question ''Aimeriez- vous que vos enfants exercent le même métier que vous ?''. «Les pêcheurs à Kerkennah vivent dans des conditions difficiles… En effet, l'absence du système de couverture sociale et le manque d'accès à l'assurance maladie, en cas d'accident du travail, fragilisent ce secteur puisque la majorité des travailleurs dans la filière pêche côtière à Kerkennah (soit 88%) est privée de la couverture sociale. Face à cette situation, les jeunes, qui pratiquent cette activité (nombre très limité), ne veulent travailler qu'au bord des barques pratiquant le Kiss (un mini chalut assez destructeur qui racle le fond dans des zones de frayères et de nurseries), ce qui leur assure un important revenu sans tenir compte des effets néfastes du Kiss sur les autres pêcheurs, la faune et la flore marine et les techniques de pêche traditionnelles», précise l'enquête. La pêche illégale s'est intensifiée La sonnette d'alarme a été tirée encore une fois sur la dégradation des ressources halieutiques, liée notamment à l'activité de la pêche illégale. L'enquête indique que la mer de l'île est devenue de moins en moins riche à cause de la surexploitation des ressources et de la pollution causée par les sociétés de l'exploitation de gisement de gaz et pétrole de l'île. Elle cite aussi la présence de «Daech», une espèce de crabe invasive venue d'Asie et surnommée ainsi parce qu'elle détruit tout. Cette situation s'explique aussi par le non-respect des calendriers annuels, l'utilisation non réglementaire d'un maillage trop étroit (18 et 20), principalement pour les filets invisibles et même pour les chambres de Charfia, l'instauration des techniques et engins de pêche non réglementés et non conformes aux normes et aux caractéristiques du milieu marin, comme «Drayen» en plastique et le «Kiss» pratiqué à des espaces de moins en moins profondes, ont un effet nuisible sur la faune et la flore marine. Et à cause de cette pratique, les pêcheurs vendent les produits capturés directement aux commerçants (Gachars) sur les quais de débarquement, dans des zones isolées sans aucun contrôle et sans respect des principes de vente équitables. Sur le plan économique, les prix des engins de pêche ne cessent d'augmenter. Selon les pêcheurs enquêtés, pour les filets, une partie coûte 140 dinars et chaque barque a besoin d'au moins 20 parties de filet, soit une somme de deux mille huit cents dinars qui doivent être renouvellés chaque 3-4 mois à cause de «Daech» qui détruit tout, même les filets. Ces crabes menacent même la technique de la Charfia. «Aujourd'hui à Kerkennah, il y a beaucoup plus de crabes que de poissons. Par exemple en novembre 2018, les quantités pêchées de Daech de la mer (239.120 tonnes) sont beaucoup plus importantes que celles des crevettes (35.930 tonnes). Le coût annuel relatif à l'entretien de la barque varie entre 1.500 et 4 mille dinars et chaque propriétaire doit pour entretenir sa barque au moins deux fois par an. Ce coût est considéré comme le plus élevé en raison du l'augmentation de coût de vie sur l'île par rapport au reste du pays. Face à ce coût de production assez élevé, la rentabilité de l'activité tend à baisser dans certaines zones de Kerkennah au fil des années. Par ailleurs, l'utilisation abusive de mode de pêche le «Kiss», adopté actuellement par la majorité des pêcheurs de la zone Mellita, est pratiqué sur des barques à moteur sans nom et sans papiers en absence de toute forme de contrôle administratif et sanitaire. Cette situation a engendré de grands dégâts aux autres pêcheurs des zones qui ne pratiquent pas ce mode de pêche (destruction des engins de pêche et raréfaction des ressources)», explique l'étude. Ainsi, l'effondrement de certains quais, l'absence de toutes les commodités , la nécessité pour de nombreux propriétaires de bateaux de se déplacer vers d'autres ports pour effectuer des travaux d'entretien et de réparation en raison du manque d'équipements nécessaires...Toutes ces entraves ont rendu les conditions de travail de plus en plus difficiles...Et donc, les grands ports de pêche à Kerkennah n'ont pas accès aux services minimum en termes de facilité de conservation de produits frais, d'aménagement des processus de débarquement, d'accès au matériel de pêche, de respect des normes d'hygiène pour la sécurité alimentaire, de transformation et de valorisation des produits de pêches. Qui peut arrêter ce fléau ? Malheureusement, aujourd'hui, ni le ministère de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche maritime, ni la Garde Nationale marine, ni la Marine Nationale ne sont arrivés à arrêter cette hémorragie mortelle à nous tous, qui touche notre nourriture vitale et les revenus d'autres pêcheurs, qui respectent la loi, seront ruinés. Mais là encore, il ne faut pas perdre l'espoir, l'enquête propose une liste de recommandations pour améliorer la situation actuelle. En effet, la communauté des pêcheurs à Kerkennah a exprimé plusieurs besoins, tels que le transport, clef du développement global et durable à Kerkennah, la lutte contre la pêche illicite, non réglementée et non déclarée, la réglementation des circuits de commercialisation, le renforcement du rôle des organisations professionnelles, l'aménagement de l'infrastructure portuaire, l'établissement d'un régime spécial pour la couverture sociale des pêcheurs, la mise en œuvre d'une stratégie de valorisation des produits maritimes, la mise en place d'une stratégie nationale pour lutter contre le fléau d'immigration non réglementaire… Même si ces recommandations paraissent logiques, tous les appels précédents ne sont pas pris au sérieux par nos décideurs...et on ne sent pas une baisse de cette activité illégale malgré que les messages pour lutter contre le braconnage de mer et préserver la biodiversité ont été répétés plusieurs fois. Mais tant que le trafic animalier ne sera pas pris au sérieux, la biodiversité marine sera menacée et nous devrons attendre des jours plus durs et plus difficiles avec une recrudescence de la pêche illégale.