Au large de la ville de Sfax, les îles de Kerkennah gardent encore leur mystère et leur charme. A la beauté naturelle légendaire de cet archipel vient s'ajouter une autre particularité, unique en son genre, à savoir que des citoyens ont la possibilité de posséder une partie de la mer. Mais, revers de la médaille : les ressources halieutiques s'amenuisent de plus en plus Kerkennah est le seul endroit au monde où on peut voir des dromadaires flotter à la surface de la mer : les felouques des pêcheurs qui ont la chance d'assister au quotidien à un beau spectacle bien particulier : celui des poissons de toutes formes et des poulpes de couleur rouge-corail avec des tentacules azurés et tachés de blanc qui se déplacent sous l'eau. Entre les Kerkenniens et les poulpes et les poissons, c'est une vieille histoire d'amour. Le poulpe, cet être mystérieux, possède des qualités culinaires remarquables. Il symbolise la force et l'intelligence. Il constitue surtout la principale source de revenus des Kerkenniens qui vivent essentiellement de la mer et n'ont pas d'autres ressources ou revenus. Il est neuf heures. Le ciel est dégagé et la mer calme brille d'un bleu éclatant. De petites embarcations entrent dans le port de l'«Ataya». Une vingtaine de pêcheurs, visages fatigués, le pas lourd, sont de retour après de longues nuits de pêche passées en mer. Ils s'activent pour faire descendre les caisses de poissons mi-pleines. Le résultat de la pêche n'est pas au niveau des attentes. Les quantités sont réduites et de petit calibre. La mer est le premier gagne-pain des Kerkenniens. La pêche est la principale activité économique des habitants des îles. Cette activité a été frappée de plein fouet après la révolution. Les petits pêcheurs, qui sont majoritaires, subissent les conséquences de la pêche anarchique avec les larges filets et le «kiss» qui détruisent les ressources halieutiques. Des pêcheurs mécontents, désespérés, essayent de survivre malgré ces mauvaises conditions. Pêche traditionnelle Rencontré dans son embarcation, Baba Ali, octogénaire, exerce ce métier depuis 42 ans. Il en parle avec une grande fierté. C'était auprès de son père et de son grand-père qu'il a appris à pêcher. Aujourd'hui, il continue de pêcher en utilisant les méthodes traditionnelles. Des méthodes qui résistent malgré les nouvelles techniques de pêche. Dans l'archipel, la pêche est une activité ancestrale transmise de père en fils. Toute une culture originale et propre à ces activités maritimes, vivement marquée par les spécificités distinctives du milieu marin des îles de Kerkennah, s'est développée et est transmise d'une génération à une autre. La technique de pêcherie (charfia), la nasse (drina), les pierres creuses à poulpes (hjar) sont les résultats de l'ingéniosité développée au fil du temps par les pêcheurs de l'île. «Plus qu'un gagne-pain, la pêche représente pour moi un mode de vie. Même si je trouve de quoi manger je pêcherai encore», poursuit Baba Ali. La pêche anarchique Au cours de ces dernières années, les pêcheurs ont vu leurs outils de pêche traditionnels concurrencés par le chalutage. Une méthode qui décime les réserves de poissons et arrache les plantes du fond marin. Par conséquent, les revenus des pêcheurs de Kerkennah ont baissé de 70% au cours des dernières années. Depuis la révolution, le recours au chalutage a énormément augmenté. Ridha, la soixantaine, déclare que les pêcheurs éprouvent des difficultés pour conserver leur mode de vie et de travail. «Les temps ont bien changé. Nous étions habitués à une mer calme. Aujourd'hui, la pêche au chalutier a détruit tout le fond marin et saccagé les ressources maritimes. Les autorités locales doivent agir pour mettre fin à ces pratiques. La pêche anarchique a fait des ravages dans l'écosystème insulaire. En l'absence de vraies initiatives de l'Etat pour améliorer les conditions de vie sur l'archipel, la situation économique et environnementale dans ces lieux déjà fragilisés continue à se détériorer. Bref, notre but est : chacun doit faire un effort dans le but de protéger notre environnement». La pêche au chalut Comme dans plusieurs autres zones côtières, la pêche au chalut à Kerkennah a acquis ses lettres de noblesse. Bien qu'elle porte atteinte aux ressources halieutiques, ce type de pêche est privilégié par la majorité des pêcheurs car il ne présente pas de difficulté et peut être pratiqué par des femmes et des hommes âgés avec des embarcations de fortune et peu équipées. La pêche se pratique à un niveau d'eau bas avec des filets. Souvent, le pêcheur emporte toutes les plantes aquatiques et les petits poissons dans son filet. Pratiquée, toutefois, de façon abusive, le contrôle est nécessaire pour rappeler à l'ordre tout contrevenant.