Si Ennahdha semble passer la vitesse supérieure dans ses hostilités contre le Président de la République, Kaïs Saïed promet de protéger le pays de ceux qui «le guettent, et qui coopèrent avec des forces hostiles à la patrie». Jusqu'où peut mener ce bras de fer, l'ultime, peut-être ? Même avant les événements du 25 juillet, la rupture est consommée entre le Président de la République, Kaïs Saïed, et le parti Ennahdha et notamment son leader historique, Rached Ghannouchi. Et pour cause, une divergence politique à tous les niveaux surtout compte tenu des choix politiques conduits par le mouvement islamiste ces dix premières années post-révolution. S'il le dit à demi-mot, le Président de la République accuse Ennahdha et certaines autres parties d'avoir conduit le pays à un échec total pendant cette dernière décennie, et ses dirigeants d'avoir mis la main sur la justice et sur les différents rouages de l'Etat. Du côté de Montplaisir, bien qu'on ait appelé massivement à l'élection de Kaïs Saïed au second tour de la présidentielle de 2019, on accuse le Chef de l'Etat d'avoir opéré un «putsch contre la démocratie et contre la vie parlementaire». Pour faire court, entre Ennahdha et Kaïs Saïed, c'est la rupture totale. Sauf que cette dernière période, le fossé entre les deux parties s'est creusé davantage et la rupture est consommée, on ne doit s'attendre en aucun cas à un rapprochement, surtout après les vagues d'hostilités menées par Ennahdha et ses alliés contre le locataire de Carthage. Il n'en demeure pas moins que pour le moment le Président de la République semble éviter toute confrontation avec ce parti, et se contente de faire allusion aux différentes manœuvres politiques faites par Ennahdha en recourant même à des pressions étrangères. Mais, a-t-il menacé, «le jour viendra où il nommera les responsables d'un tel échec et les corrompus qui veulent mettre la main sur la justice». De même, l'entêtement du parti islamiste pour le retour du Parlement en sa forme actuelle, pourtant désapprouvée et dénoncée par les Tunisiens, ne fait qu'envenimer davantage la situation politique en Tunisie, notamment en cette période économique difficile pour ne pas dire critique. A quoi joue Ennahdha ? Pourquoi si tous les protagonistes politiques semblent céder à la manœuvre politique de Kaïs Saïed, Ennahdha choisit-il l'escalade et la confrontation directe avec le Président de la République ? Quelles cartes cache-t-il au cœur de cette confrontation qu'il conduit désormais seul ou presque ? S'agit-il d'une tentative de camoufler ses conflits internes qui ne cessent de s'aggraver ? Rached Ghannouchi ou la dernière danse ? Bien que le parti Ennahdha soit au bord de l'implosion, son leader historique, Rached Ghannouchi, multiplie les fausses manœuvres et notamment les déclarations et apparitions médiatiques contradictoires. Sa dernière déclaration a fait polémique et ce n'est pas une première. Le président du Parlement suspendu a déclaré que le mouvement Ennahdha, dont il est le chef de file, est un facteur de stabilité pour le pays. Pas que, il défie le Président de la République et toute la mouvance du 25 juillet en estimant que «l'Assemblée des représentants du peuple, dont les travaux sont suspendus, sera rétablie qu'on le veuille ou non». Une déclaration qui a fait un tollé, notamment sur les réseaux sociaux et qui a provoqué de nombreuses réactions politiques et autres. Pour certains observateurs, le chef du Parlement suspendu ne parle pas dans le vide, il serait rassuré par certaines positions étrangères et serait en possession d'autres cartes dans ce jeu d'échecs entamé avec le Président de la République. Alors que pour certains d'autres, ces déclarations prouvent que le leader historique a tout perdu, dont notamment son parti politique, et n'a, entre les mains, que des déclarations de provocation pour maintenir sa position au premier plan de la scène politique après la manœuvre politique du Président de la République ayant éclipsé pratiquement tous les partis. Quoi qu'il en soit, cette déclaration a, encore une fois, fait polémique, et ce n'est pas surprenant de la part de Rached Ghannouchi. Comme toujours, le Président de la République a choisi de répondre à sa manière. En supervisant, récemment la réunion du Conseil supérieur des armées, au Palais de Carthage, il a estimé que «la Tunisie est forte de son peuple et de son histoire, assurant qu'elle a besoin de gens honnêtes et fidèles au pays». Pour lui, l'Etat n'est pas une proie facile et ses institutions resteront en place, ajoutant que tous ceux qui œuvrent pour l'atteindre ou l'infiltrer ne font que délirer. S'agissant en effet de ses opposants, Saïed a déclaré : «Il est temps qu'ils comprennent que l'Etat tunisien n'est pas une proie facile, et nous continuerons à travailler avec la même détermination pour le préserver». Les dépassements électoraux comme carte de pression Sauf que le Président de la République garde en main un moyen de pression de taille, celui des délits, infractions et même crimes commis lors des élections de 2019. Pour conforter sa position, Kaïs Saïed se base sur le rapport de la Cour des comptes qui compromet certains partis dont notamment Ennahdha, et qui seraient liés à des financements étrangers. A cet égard, le Chef de l'Etat dénonce le retard pris dans la mise en œuvre des recommandations de la Cour des comptes. Le Président de la République a critiqué, dans ce sens, l'absence d'application de la loi contre les partis corrompus. Le rapport général de la Cour des comptes sur les élections de 2019 a relevé plusieurs infractions et le Chef de l'Etat a jugé inadmissible et inacceptable le fait qu'un rapport émis par un Tribunal et contenant de nombreuses infractions reste sans aucun «effet juridique», dénonçant le retard observé dans l'application des délais, prévus par l'article 163 de la loi électorale. Selon cette loi «s'il est avéré pour la Cour des comptes que le candidat ou la liste de candidats a obtenu un financement étranger pour sa campagne électorale, elle l'oblige à payer une amende allant de dix fois à cinquante fois la valeur du financement étranger. De ce fait, les membres de la liste ayant bénéficié du financement étranger perdent la qualité de membre de l'Assemblée des représentants du peuple. Le candidat à l'élection présidentielle ayant bénéficié du financement étranger est puni d'une peine d'emprisonnement de cinq ans». Ennahdha persiste et signe Sauf que les «armes et missiles légaux» de Kaïs Saïed ne semblent pas, pour l'instant, dissuader Ennahdha. Les dirigeants, même les démissionnaires parmi eux, poursuivent leur assaut lancé contre le Président de la République. Abdellatif Mekki, par exemple, va jusqu'à accuser le Président de la République de vouloir politiser l'armée nationale. «Le Chef de l'Etat porte un coup dur aux principes de la République et met les dirigeants militaires dans l'embarras», a-t-il estimé. Pour Ali Laârayedh, «le Parlement sera de retour», estimant que les organisations internationales et des partis politiques tunisiens sont réfractaires au «coup d'Etat perpétré par Kaïs Saïed». «Si le pays continue à être dirigé de la sorte, son avenir sera obscur et anarchique», a-t-il poursuivi.