En ce mois de Ramadan, pas un jour ne passe sans que, dans les conversations courantes, le mot feuilleton ne soit mis à toutes les sauces. Belle reconnaissance, en effet, de ce genre de fiction qui cherche à développer les éternelles problématiques du genre humain, héritier à sa manière des contes et légendes qui se transmettent entre générations et civilisations, à la veillée autour du feu, avant de dormir, ou dans les romans d'apprentissage. Mais qu'est-ce qu'on aimerait que ces scénarios de la vie soient un peu mieux écrits, et par des auteurs plus inspirés ! Ne parlons pas des Tunisiens qui, depuis quelques années, se plaisent à mijoter une même recette et à copier leurs propres «succès». Ils s'amusent encore à nous raconter des histoires sans intrigues particulières, à plonger dans le polar, et à «remaker» de célèbres séries américaines. Ils font semblant de faire du mélo familial, de «mettre à nu» des problèmes de société et de démonter la psychologie humaine. Certains acteurs sont désormais exploités à fond, aussi bien dans la fiction que dans la publicité, comme autant de gammes de produits industriels sans dates limites. Le ton des présupposées sitcoms est ringard et cela fait des lustres que les feuilletons n'ont pas été visités par l'originalité. On compte beaucoup sur le mois de Ramadan pour satisfaire une audience assoiffée de fiction locale et on ne pense toujours pas produire de manière régulière, sur toute l'année, pour que les auteurs prennent la main et que les acteurs se rôdent face à une caméra qui ne pardonne pas. Mais il faut reconnaître une chose: depuis deux ans, à travers nos feuilletons du prime time, il y a de nouveaux visages, des non acteurs qui n'ont rien à envier aux professionnels. Ils sont beaux, la caméra les aime et ils jouent nature sans forcer le trait. A bout de vie Les Egyptiens, quant à eux, sécurisés par la gloire du passé, continuent à se déchaîner et à produire sans compter, s'accrochant depuis bientôt cinq ans au créneau du feuilleton biographique. De Abdelhalim Hafedh à Souad Hosni et d'Ismahen à Leïla Mourad… l'histoire du roi Farouk déjà faite, on s'attaque à celle de la reine mère «Nazli». Cela se voit, la fiction égyptienne est à court de sujets et souffre même d'une pénurie d'acteurs principaux. Jamais ses castings n'ont comporté autant d'acteurs d'autres pays arabes et notamment de son principal concurrent : la Syrie. On continue à faire l'éloge de la polygamie (Zohra et ses cinq époux) en accordant le premier rôle à son nouveau «sexe symbole», Ghada Abderrazak. Et puis, jamais Ramadan sans Yosra. Cette actrice qui vient du cinéma et qui se plaît, depuis 2003, dans le rôle de sauveur du monde, incarne, cette année, le personnage de médecin légiste tellement compétent qu'il ne peut s'empêcher de jouer également au «profiler» et à la police technique, avec en plus une maman qui la harcèle au téléphone. Son nouveau feuilleton qui s'intitule «Sous scellé» joue sur des codes super-connus chez les Américains. «Je veux me marier» promu comme il se doit par les chaînes arabes et l'une de nos chaînes privées, feuilleton porté par la Tunisienne Hind Sabri et qui se veut du genre comédie, n'évolue, alors là, pas plus que le titre. Jeu on ne peut plus «over» et il commence à faire aussi vieux que les personnages de prétendants débiles qui défilent et ne font plus rire grand monde. En somme, la fiction égyptienne a l'air de se demander «Que faire quand on a tout fait ?» et elle a du mal à se débarrasser de ses têtes d'affiche qui, croit-on savoir, exigent des scénarios sur mesure. Les génériques traînent toujours en longueur, on se maquille à outrance, cela zoome à n'en plus finir et l'éclairage est toujours le même : lumière crue du jour. De vraies larmes devant Côté syrien, après le feuilleton historique qui impressionne depuis une dizaine d'années le marché de la fiction, le talent éclate de nouveau dans le genre social. Les histoires reflètent généralement les préoccupations d'une société en plein changement et qui se retrouve en conflit avec ses croyances traditionnelles, désormais limitantes. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas leurs feuilletons d'époque, style «Bab Al Hara», on ne peut guère reprocher aux Syriens de vouloir remonter vers le passé pour construire l'avenir. Ce feuilleton, qui en est à sa cinquième saison, défend des valeurs perdues comme l'amour, l'honneur, la fraternité, la liberté et, surtout, l'appartenance à un clan, une valeur importante pour l'équilibre de tout être humain. Les feuilletons modernes, quant à eux, traitent souvent de sujets actuels portés par des personnages jeunes ou vieux, mais pris dans le cycle infernal du mal-être de cette époque matérialiste. C'est filmé dans des décors naturels. L'action exploite des espaces de la vie ordinaire, et les dialogues, très «économiques», n'interviennent que quand on n'a plus rien à dire avec l'image. Ils ne sont nullement bavards et correspondent comme il se doit aux caractères des personnages et à leurs histoires de vie. «Waraa echem's» ou «Derrière le soleil» en est le meilleur exemple. Ce feuilleton est un mélodrame fin, simple et direct, qui touche à différents problèmes de société : la difficile réintégration d'une jeune femme au casier judiciaire chargé, la tyrannie du père et du frère encore de mise, la pauvreté désormais humiliante, l'intolérance toujours d'actualité, et tout ça dans une trame principale portée par un couple qui attend un enfant trisomique. Ce sujet délicat évite les stéréotypes et les clichés pour se contenter d'exposer le problème avec un jeu bouleversant qui laisse entrevoir toute la douleur du handicap. Cela dit, dans la fiction syrienne, il y a quand même quelque chose qui dérange de plus en plus. Les actrices, aussi belles les unes que les autres, ont tendance à s'uniformiser en se «botoxant», en se refaisant le nez et en se tatouant les sourcils. Elles se transforment en personnages de science-fiction, et le réalisme des feuilletons risque d'en prendre un sale coup. Made in USA Le prime time chez les Libanais est consacré à «Sarra», un feuilleton du genre «soap opera» ou «telenovela». On y trouve de tout, notamment les triangles: mari/ épouse/amant ; sauveur/persécuteur/victime et la fameuse légende hollywoodienne «boy meets girl…». Sarra, le personnage principal, est en conflit avec son tyran de mari. Elle demande le divorce et se bat pour la garde des enfants. Entre-temps, elle tombe amoureuse d'un jeune homme déjà fiancé et dont la mère use de toutes les ruses pour l'éloigner d'elle. Des émotions ? Point. Les événements sont donc très attendus. Effets mélo à la Kramer contre Kramer, violons sanglotants…Mais le tout dans une mise en scène très cinéma (pas étonnant de la part de Samir Habachi, un réalisateur qui vient du 7e art). Mouvements de caméra très fluides, en cadrages/ recadrages légers, voire imperceptibles, et un éclairage d'intérieur nettement différent de celui des autres fictions arabes. On est agréablement dépaysé par l'atmosphère, l'allure et la manière d'être des personnages féminins. Les femmes s'habillent à la dernière mode, portent des micro-jupes, du décolleté et cela leur va à merveille. Dans les dialogues, on perçoit leur manière de concevoir la relation amoureuse, libérée de tous tabous. La production n'a pas l'air de vouloir faire des concessions pour plaire au marché de la fiction arabe. Pas étonnant que ce feuilleton ne soit pas vendu ailleurs. Discussions de salon En zappant du côté des pays du Golfe, on a la furieuse impression du déjà-vu. On est clairement au théâtre, dans un vaudeville d'un autre temps, optant pour zéro figurant. Mise en scène farouchement statique (séquence 1 : salon. Séquence 2 : 2e salon. Séquence 3 : chambre à coucher. Séquence 4 : 2e chambre à coucher). Le lieu bouffe l'écran. Les meubles luxueux semblent être achetés chez le même fournisseur, les actrices vont chez le même chirurgien esthétique. Les dialogues sont bavards, les mélos rouillés et les auteurs font l'inventaire des ficelles scénaristiques égyptiennes les plus éculées. On s'aperçoit que ce n'est pas un hasard si lesdites ficelles sont aussi éculées.