Par Bady BEN NACEUR Tiens ! Cette fraîcheur de matin et de printemps dans le jardin ! Ces gazouillis de passereaux, de geais, de fauvettes et de pinsons ! Ces roucoulements de tourterelles et ce couple de corneilles fidèles ! Leurs chants mêlés, dans les arbres en fleurs, aux cris stridents des mouettes qui planent dans le golfe de Carthage, où moutonnent les vagues de la Méditerranée. Avant-hier soir, je regardais la chaîne nipponne, NHK World, qui fétait, à travers un reportage, les nombreuses cérémonies en hommage aux cerisiers en fleurs. Le cerisier est un arbre fétiche dans cet archipel, il est le symbole de la virginité, de la fécondité et de l'abondance. La beauté de ses fleurs blanches est l'occasion de multiples fêtes et de dévotions, car elles ne durent qu'une semaine. Puis ce sera le bourgeonnement et l'apparition des fruits rouges jusqu'à maturité... Et nous, me disais-je, quel arbre fêtons-nous ? L'olivier ? Le dattier ? L'amandier ? En zappant, à travers nos chaînes, on n'évoque pas le printemps ou, alors, on ne parle que du «printemps tunisien» ou du «Printemps arabe». Des vocables inventés de toutes pièces, dans quelque bistrot parisien, pour dénoncer la misère qui perdure dans notre pays, et montrer cette révolte grandissante de la jeunesse tunisienne désœuvrée. Jusqu'à la révolution du 14 janvier. Le «Printemps tunisien» n'a donc rien à voir avec la Nature. C'est un concept culturel pour dire comment un pays «jeune», comme le nôtre, a pu faire sa révolution et vivre en démocratie. Ce «printemps» est arrivé en hiver et il est né de la misère. C'est une misère «prolétarienne» qui a excité le monde entier et surtout le monde arabe. Et du coup, cette misère, aux accents prolétariens donc, a fait son chemin avec ses effets dominos. Et puis, on est passé au «Printemps arabe» qui ne dit pas encore son nom. Car, que de massacres de populations et d'effets migratoires de déplacements de populations vers cette Europe-refuge qui finira par imploser peut-être. C'était cela notre printemps à nous, ce printemps de la grande avenue dont on ne parle même plus. Un printemps qui nous avait transportés dans une sorte de Paradis candide et ensoleillé avec son «Dégage» — quel beau et magnifique «Dégage!» — et son sens de la «Dignité». Celle dont Monsieur Hessel est venu nous en avertir, avant sa disparition. Et toutes ces promesses dont on attend, encore, qu'elles soient concrétisées. Nous n'en sommes pas encore au temps des cerisiers, des amandiers, des dattiers... Ce printemps-là, le nôtre, est une sorte de miroir aux alouettes ou alors, comme le prétendent certains, un miroir orphéique et de parabole. Verra-t-on, plus tard, ce qu'il adviendra de lui. Ce que l'histoire dira aux générations montantes, le pourquoi et le comment... Espérons, pour elles, qu'elles vivront mieux que nous. C'est ça le progrès! Et que malgré les variations de concepts nombreux et contradictoires — diaboliques, même — de ceux qui gèrent ce monde, la Nature retrouvera aussi ses droits. Et, à propos de cette misère, terreau de notre révolution, plutôt pacifique, j'ai trouvé cette petite phrase écrite par le peintre «maudit», Vincent van Gogh, avant son suicide : «La misère humaine n'aura jamais de fin». Il faut méditer cette phrase, car elle nous intercepte. En effet, la société tunisienne est, depuis ce «Printemps», confrontée — pour avoir osé! — à des problèmes inextricables à cause des idéologies politiques et religieuses scabreuses. Mais elle en accepte le défi. La dignité est vraiment une arme chargée de futur. Je regarde par ma fenêtre et je me dis pour me rassurer : «Tiens ! Cette fraîcheur de matin et de printemps dans le jardin!»...