Une soixantaine d'enfants de la lune, accompagnés de leurs parents, se sont réunis au cours d'une rencontre conviviale. Une matinée qui est venue illuminer leur quotidien Passer toute sa vie à suivre un régime alimentaire strict et appliquer à la lettre les prescriptions médicales ne sont pas chose facile à vivre. Souffrir d'une maladie chronique, que l'on doit supporter pendant toute son existence, peut affecter et changer le mode de vie de la personne atteinte de la maladie et de tout son entourage. Quand il s'agit d'un enfant atteint de «Xeroderma pigmentosum», une maladie génétique rare, appelée poétiquement la maladie «des enfants de la lune», ce dernier doit se protéger de son ennemi numéro 1, le soleil, et vivre sa vie en compagnie de son amie nocturne, la lune. Une situation qui n'est pas facile du tout à gérer, car c'est tout un rythme de vie qui change, y compris celui de l'entourage, la famille et même parfois les amis. Comment peuvent-ils s'adapter alors qu'ils sont condamnés à vivre cloîtrés? Comment s'acceptent-ils et acceptent-ils le regard des autres? C'est lors de la journée annuelle placée sous le thème «Une vie sécurisée pour les enfants de la lune», organisée par l'Association d'aide aux enfants de la lune, que les parents des enfants atteints de Xeroderma pigmentosum ont eu l'occasion de s'informer auprès des médecins spécialistes sur la maladie et l'attitude à adopter pour s'adapter à cette maladie orpheline, et apprendre à la gérer convenablement. La journée était également une occasion pour les enfants de se réunir autour d'une exposition d'articles artisanaux, de dessins... dans une ambiance festive et chaleureuse, ressemblant à une joyeuse fête qui a illuminé pour quelques heures leur quotidien difficile. Alors que l'été, la plage, le soleil font le bonheur de plusieurs personnes, les enfants de l'ombre sont privés de ces plaisirs simples... Ils ne doivent absolument pas s'exposer au soleil car les rayons ultraviolets (UV) endommagent leurs peaux fragiles. Lorsqu'ils sortent de chez eux, ils doivent porter un masque, une combinaison, des gants dont le tissu est totalement imperméable et s'enduire le visage et les membres non couverts d'une couche épaisse de crème solaire de haute protection. Une tenue qui ne passe pas inaperçue une fois dans la rue, en témoignent les réactions de ceux qu'ils croisent dans la rue et qui expriment le rejet, l'effroi, la compassion... Une vie et un avenir sombres ! Masouda Msallmi s'est exprimée avec beaucoup d'amertume sur la maladie de son fils et son vécu. Accompagnée par son enfant Aymen, malade depuis une vingtaine d'années, ils ont pris tous les deux place au fond de la salle, Aymen, très calme et taciturne, a un visage très expressif. Beaucoup de tristesse, beaucoup de colère et surtout beaucoup de questions qui hantent son esprit. «Pourquoi moi ? Que vais-je devenir après ? Est-ce que je pourrais guérir un jour ?». Voila les questions qu'il pose plusieurs fois par jour à sa mère ! Masouda remonte dans le temps et décrit la souffrance de toute la famille et la phase de refus et de non-acceptation par laquelle sont passés tous les membres de la famille lorsqu'ils ont appris que leur fils était atteint de Xeroderma pigmentosum. «C'était à l'âge d'un an et quelques mois que j'ai remarqué des taches de pigmentation brunes sur le corps de mon bébé. Elles ressemblaient à des brûlures, se rappelle-t-elle. Je l'ai emmené aussitôt au médecin et le verdict est tombé ! Et depuis, la galère a commencé. Des applications de crème solaire toutes les deux heures, porter des vêtements adaptés, ne plus jouer dehors comme les enfants, éviter au maximum la lumière de la télévision... Aymen a dû aussi arrêter ses études depuis le primaire. Comment expliquer tout cela à un enfant, comment lui expliquer qu'il est différent ? C'est ce qui m'a rendue presque folle, d'autant plus que mon fils est têtu et il ne veut toujours pas admettre sa maladie. Il veut sortir comme ses frères, aller à la plage, et vivre normalement comme tout le monde. De plus en plus agressif, il ne voulait pas porter ses vêtements car il avait l'impression d'être ridicule. La maladie de Xeroderma pigmentosum est difficile à gérer et rend la vie du malade et de sa famille très compliquée», se confesse-t-elle. Un combat de tous les jours Juste à côté de Aymen et sa maman, Ameni, une charmante fillette de 13 ans, opine de la tête. Souriante, le moral au top et très ouverte, elle a accepté de parler de sa vie, de ses activités nocturnes, de ses relations fusionnelles avec ses deux sœurs aînées, de ses amies et de sa passion : la lecture. Grâce au soutien de sa famille, de sa maman et de ses sœurs, elle a pu bien s'adapter et comprendre parfaitement sa maladie, et ses risques à long terme, si elle ne suit pas son traitement. Elle applique d'ailleurs ses crèmes solaires toute seule, toutes les deux heures, matin et soir, ses lotions oculaires et mène une vie presque normale, voire sereine au sein d'une famille soudée. «Seul aspect négatif, Ameni a arrêté ses études à un âge très précoce. Malheureusement, les fenêtres des salles dans les collèges, les lycées et même les universités ne sont pas équipées de films anti-ultraviolets ! intervient son père. Ce qui peut aggraver son état de santé. De ce fait, elle ne peut plus se rendre à l'école». Le père s'est montré optimiste quant à l'avenir de sa fille, qui pourra, plus tard, suivre une formation à domicile et monter un projet avec ses sœurs ! «Il y a toujours des solutions et il ne faut jamais baisser les bras car la vie est un éternel combat», renchérit-il. Sihem Hamzaoui est une jeune fille pleine de vie et d'énergie. Elle a exposé des articles artisanaux à l'occasion de la journée dédiée aux malades de Xeroderma pigmentosum. Enfant de la lune, elle a eu son diplôme de l'école des Beaux-Arts, et a accepté de nous parler de sa lutte contre sa maladie, de sa vie, ses rêves et ses ambitions. Elle revient sur les premiers signes de la maladie, sa découverte et son combat pour survivre. «Dans les années, 90, la maladie n'était pas très connue en Tunisie. J'ai dû consulter plusieurs médecins à l'époque pour comprendre pourquoi des boutons sont apparus sur mon visage. Ensuite, j'ai été hospitalisée parce que mon état de santé s'est détérioré à cause de l'excès d'exposition au soleil. A l'âge de 15 ans, et grâce à un médecin compétent, nous avons, ma famille et moi, finalement compris de quoi il s'agissait. Au début, j'avais du mal à accepter ma maladie et tout le changement de mode de vie qui va avec, j'ai insisté pourtant pour faire des études supérieures, sachant que j'allais m'exposer à des risques énormes. Je veux vivre et réussir ma vie professionnelle. Si je n'ai pas eu la chance d'avoir une bonne santé, j'ai le droit d'avoir une vie réussie et je ne veux pas rater cette chance!». Trouver des solutions pratiques Azza Bhouri, médecin et présidente de l'association Aide aux enfants de la lune, a précisé au terme de cette journée, que l'association se bat depuis sa création pour améliorer la qualité et le confort de ces enfants et trouver des solutions pratiques qui rendraient leur vie plus facile. «Nous rêvons de créer un centre spécialisé pour accueillir ces enfants, et notre rêve se réalisera un jour. En attendant, nous organisons chaque année au mois de septembre des camps de vacances qui accueillent ces enfants avec leurs parents, pour se divertir et leur assurer un suivi psychologique et une bonne éducation sanitaire», a conclu la présidente de l'association. Le Xeroderma pigmentosum La maladie des enfants de la lune, appelée scientifiquement «Xeroderma pigmentosum», est une maladie génétique rare qui touche aussi bien les femmes que les hommes. Elle se manifeste, dès les premiers mois de la vie de l'enfant, par des rougeurs et des taches brunes suite à l'exposition au soleil et une hypersensibilité aux rayons ultraviolets. Sans protection appropriée, la maladie se développe très rapidement et cause des cancers cutanés. Le Xeroderma pigmentosum est incurable et le patient doit vivre à l'abri du soleil et se protéger en portant une tenue vestimentaire protectrice, des lunettes, des gants et un masque. On compte en Tunisie plus de 800 malades, dont 385 inscrits à l'association «Aide aux enfants de la lune».