Par Abdelhamid Gmati La lutte contre la corruption figure parmi les objectifs prioritaires de la révolution. C'est que ce phénomène social, politique et économique complexe, qui touche tous les pays, « sape les institutions démocratiques, ralentit le développement économique et contribue à l'instabilité gouvernementale ». Le régime dictatorial en avait fait l'un de ses fondements et on avait cultivé l'espoir de l'éradiquer. Des mesures avaient été prises dès 2011 pour contrer cette gangrène. Mais tout indique que le phénomène s'est développé. A en croire l'indice de perception de la corruption 2015 de Transparency International, la Tunisie est classée 76e sur 168 pays, soit un recul de 17 places par rapport à 2010. Cela ne laisse personne indifférent. A l'issue d'un Conseil ministériel, un communiqué publié par la présidence du gouvernement souligne que « les réformes introduites dans la Stratégie nationale de la fonction publique et la lutte contre la corruption, sont de nature à renforcer la confiance du citoyen en l'administration, en la volonté du gouvernement de consacrer les règles et principes de la bonne gouvernance de l'argent public et de l'éradication de la corruption et du favoritisme. Le but étant de garantir l'égalité entre les citoyens dans leur relation avec l'administration et les services publics ». Il y a quelques jours, le ministre de la Fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, Kamel Ayadi, annonçait que son ministère compte rendre publique une liste nominative des entreprises publiques dont l'implication dans des faits de corruption a été avérée ». Cela voudrait dire que le gouvernement est conscient de la gravité du problème et qu'il prend ses responsabilités. Et pourtant... Chawki Tabib, le président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption, qui déplorait le manque de moyens matériels et financiers mis à la disposition de l'Instance, mettait en garde contre « une dérive vers un Etat mafieux ». Il explique qu'il a fait appel à des juristes volontaires pour trier les milliers de dossiers hérités de son prédécesseur (Samir Annabi), lequel, en désespoir de cause, a jeté l'éponge. A ce jour, 2.680 dossiers ont été triés. Il semble que sa requête ait été entendue, puisque le ministre des Finances, Slim Chaker, annonçait que son ministère « œuvrera, d'ici fin avril 2016, à fournir une enveloppe de 7,4 MD à l'instance nationale de lutte contre la corruption (Inlc) pour renforcer son budget». Il n'en reste pas moins que Chawki Tabib a affirmé, jeudi dernier, que l'Instance « détient des dossiers de corruption délicats relatifs à des marchés publics qui ont été conclus par de hauts responsables de l'Etat encore en exercice ». Il précise que « 25% des dossiers de corruption en Tunisie ont une relation directe avec les marchés publics, ce qui peut entraîner des répercussions catastrophiques sur l'économie tunisienne et sur le budget de l'Etat en général ». Lors d'une conférence organisée par l'association I watch, jeudi dernier, sur l'état des lieux de la justice en Tunisie, Leïla Abid, juge chargée du dossier des biens confisqués, a déclaré: «Je n'ai pas confiance en l'indépendance de la Justice ». Pour elle, l'immixtion de l'Exécutif, est à l'origine de la non-exécution des décisions relatives aux biens confisqués. Selon elle, la non-indépendance du pouvoir judiciaire constitue l'un des obstacles auxquels cette affaire fait face. Elle pointe du doigt l'absence d'une vision complète et d'un programme de lutte contre la corruption. La juge précise : « Le ministère des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières a l'intention de faire passer un projet de loi relatif à la confiscation civile qui, de par sa nature, est un projet qui amnistie les hommes d'affaires et les politiciens, sans passer par le droit pénal. Mais encore, le plus inquiétant, c'est qu'ils veulent instaurer un Etat mafieux. Il est clair que leurs intentions ne sont pas de lutter contre la corruption, comme ils le prétendent, mais de faire une mainmise sur les dossiers de corruption que le tribunal détient, et ceci dans un seul but, ouvrir les portes à la corruption et traiter les dossiers avec des « donnant-donnant », sans aucune transparence, voilà ce qui se passera si ce projet de loi voit le jour, et on est loin du processus de transition démocratique ». Et elle poursuit : « Parce que ces personnes seront au-dessus de la loi, et elles ne pourront plus être poursuivies devant la justice. A mon avis, lutter contre la corruption, c'est avant tout construire un Etat de droit ». Selon Kamel Ayadi, ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, la confiscation civile est un nouvel instrument qui s'ajoute aux lois que l'Etat veut mettre en place dans sa lutte contre la corruption. Il s'agit d'un plan d'action en cours d'élaboration par son département dans le but de consolider les attributs de la gouvernance et de la lutte contre la corruption dans tous les domaines y compris dans les structures publiques. Que conclure ? Najet Bacha, conseillère rapporteur au sein l'Instance nationale de lutte contre la corruption, déclare que les défis sont de taille. « Nous sommes en train d'avancer pas à pas, mais c'est loin d'être fini. Nous avons des chances de combattre la corruption dans un laps de temps réduit, s'il y a une forte mobilisation de la société civile, des experts, du gouvernement, mais encore, il faut qu'il y ait une volonté nationale avant tout ». Est-ce le cas ?