On met les bouchées doubles pour que la commission parlementaire d'investigation sur l'affaire Panama Papers arrive à démasquer les vrais coupables. Et si on convenait de ranger les dossiers compromettants ? Dès le départ, quand on a commencé à parler de la création d'une commission d'enquête parlementaire sur l'affaire Panama Papers, le député Ghazi Chaouachi, secrétaire général du Courant démocratique, n'a pas hésité à mettre les points sur les i en déclarant : «Que peut faire une telle commission quand on sait que ses compétences sont limitées, que les recommandations auxquelles son investigation aboutira ne revêtiront qu'un caractère exhaustif et que les recherches qu'elle va mener concernent des personnalités politiques qui ne sont pas obligées de déclarer leur patrimoine dans la mesure où elles n'occupent pas de postes ministériels ou de hautes fonctions administratives, comme le stipule la loi de décembre 1987 relative à la déclaration obligatoire du patrimoine personnel pour les personnes chargées de ce type de responsabilité». Et Ghazi Chaouachi avait totalement raison puisque le site Inkyfada avait révélé, à l'époque, deux noms : Mohsen Marzouk, coordinateur général de «Machrouou Tounès», à qui on impute le fait d'avoir cherché à savoir les modalités de création d'une société offshore, et Samir Abdelli, avocat d'affaires et ancien candidat à l'élection présidentielle, qu'on dit avoir des relations d'affaires avec plusieurs sociétés basées au Panama. Et comme attendu, la polémique s'est installée au palais du Bardo sur la composition de la commission d'investigation, sur ses attributions et surtout sur le député qui allait la présider. Finalement, elle a été constituée selon les pratiques concernant la création des commissions parlementaires ordinaires, c'est-à-dire proportionnellement à la représentativité des partis politiques présents au Parlement : sept membres du parti Ennahdha dont le président, Samir Dilou, six membres représentant les nidaïstes (Nida Tounès et Machrouou Tounès à travers le bloc Al Horra), le reste des membres étant réparti entre les autres partis. Conflit de compétences ! Sauf qu'au moment où les députés palabraient pour former la commission parlementaire et qu'au moment où Mohsen Marzouk et Samir Abdelli tiraient à boulets rouges sur les journalistes du site Inkyfada les accusant d'être manipulés et de vouloir les salir et ternir leur image de marque et les menaçant de les poursuivre devant la justice (sans passer à l'acte d'ester en justice réellement), le site crée de nouveau l'événement et nous propose trois nouveaux noms : Cheikh Rached Ghannouchi, Lotfi Zitoun et Rafik Abdessalem, trois grosses pointures d'Ennahdha soupçonnées de posséder des sociétés offshore domiciliées au Panama. La donne a-t-elle changé avec ses révélations et l'on se pose maintenant la question : comment va se comporter Samir Dilou, le président de la commission parlementaire d'investigation, avec le président de son parti et deux de ses principaux lieutenants, Zitoun et Abdessalem. La question prend d'autant plus d'importance que le président d'Ennahdha a déjà devancé la commission d'enquête en soulignant lundi dernier : «Je ne possède de compte bancaire ni au Panama ni dans un pays quelconque». Sauf que le président d'Ennahdha a ajouté : «Certains responsables résident à l'étranger et portent la nationalité des pays où ils résident et par conséquent ils ont le droit d'y posséder des sociétés et d'assurer leur direction». A première vue, la précision de Rached Ghannouchi est on ne peut plus claire et transparente. En effet, les Tunisiens résidant à l'étranger, et de surcroît porteurs de la nationalité du pays où ils résident, ont le droit d'y posséder des sociétés ou des entreprises et de les gérer. Mais le président d'Ennahdha oublie un petit détail : les personnalités nahdhaouies citées par Inkyfada ne résident plus à l'étranger et ont occupé de hautes fonctions au sein du gouvernement de la Troïka et devaient, par conséquent, céder leurs entreprises quand elles ont été appelées à faire partie du gouvernement de Hamadi Jebali et Ali Laârayedh. La déclaration de Rached Ghannouchi donne l'impression de vouloir trancher les dissensions surgies au sein du parti sur la réaction à prendre vis-à-vis du site Inkyfada. Au moment où Zoubeïr Chehoudi, directeur du cabinet du président du parti, assure qu'Ennahdha ira jusqu'au bout pour que justice lui soit rendue et pour que l'honneur de ses responsables soit lavé, Lotfi Zitoune jure lors de l'émission «Chokran Ala Al Houdhour» sur la TV nationale qu'Ennahdha ne va pas recourir à la justice contre les journalistes d'Inkyfada. Mohsen Marzouk a lui aussi changé de stratégie de défense et il demande maintenant au site d'Inkyfada de lui montrer les e-mails dont on lui impute la paternité, «ces e-mails pourraient être faux et, le cas échéant, on pourra poursuivre ceux qui les ont fabriqués». A chaque jour sa défense Ces rebondissements dans les stratégies de défense adoptées jusqu'ici par les personnalités et les partis qu'on accuse d'être impliqués (jusqu'à établissement du contraire) dans l'affaire Panama Papers sont-ils en relation avec la série d'entretiens qu'a eus le président Béji Caïd Essebsi avec Mohsen Marzouk et Rached Ghannouchi ? Officiellement, à croire les communiqués de presse rendus publics par le département communication du palais de Carthage et en se référant à la déclaration de Rached Ghannouchi (dans laquelle il appelle à une amnistie générale et à un fonds national pour l'indemnisation des victimes de la dictature ne pouvant plus attendre que Sihem Ben Sedrine et l'Instance vérité et dignité fassent les choses dans les règles de l'art), il a été question de la situation générale dans le pays à la lumière des événements de Kerkennah, de l'affaire de l'hôpital Habib-Bourguiba à Sfax, etc. Toutefois, il n'est pas interdit, même si les parties prenantes se limitent aux déclarations générales, de penser que quelque chose est en train de se tramer au niveau de la coalition gouvernementale, elle aussi en proie à la division, dans le but de surmonter les difficultés actuelles avec le minimum de dégâts. Sauf qu'il semble que le vent de l'union à retrouver n'est pas en train de tourner du côté de la commission parlementaire d'investigation sur l'affaire Panama Papers. En effet, plusieurs parmi les membres de la commission exigent que l'Assemblée des représentants du peuple revoie, de fond en comble, les attributions accordées à la commission en question pour que ses décisions deviennent exécutoires. Ces mêmes voix s'élèvent pour jurer qu'«il n'est pas question, en aucune manière, de répéter l'expérience de la commission parlementaire d'enquête sur les actes de violence en date du 9 avril 2012 ou celle de la commission d'enquête sur les actes de violence ayant ciblé le 4 décembre 2012 le siège de l'Ugtt».