Hmida BEN ROMDHANE Avant l'arrivée du président Obama en Arabie Saoudite la semaine dernière pour assister à la réunion du Conseil de coopération du Golfe (CCG), la Maison-Blanche comptait apparemment sur cette visite pour dissiper les malentendus et consolider les relations américano-saoudiennes. A la fin de la visite, on ne peut que faire le constat que rien ne va plus entre Riyad et Washington. Du moins pour ce qui concerne les derniers mois du mandat d'Obama et en attendant l'issue du scrutin présidentiel de novembre prochain. Durant les huit décennies d'étroites relations avec son allié et protecteur américain, l'Arabie Saoudite n'a jamais vécu autant de frustrations que durant les deux mandats du président Obama. Ces frustrations sont telles que les Saoudiens n'ont pu maîtriser leur haine du président américain en faisant passer les impératifs des règles universelles du protocole et des bonnes conduites diplomatiques avant le désir malsain de la vengeance. Car si Obama soupçonnait même l'idée qu'il allait être humilié par le souverain saoudien à son arrivée, il serait très probablement resté chez lui. L'humiliation du président américain était préméditée. Au moment de l'arrivée du président Obama à l'aéroport de Riyad, le roi Salman y était, mais pour accueillir ses homologues du Golfe. Pour son accueil au bas de la passerelle, Obama a dû se contenter d'un responsable saoudien de rang inférieur. Tentant d'avaler la couleuvre, les services des relations publiques de la Maison-Blanche ont tenté de mettre en avant une note optimiste en qualifiant la visite de « positive », chose que ne croient ni les Saoudiens ni les Américains. Côté saoudien, le prince Turki Al Faisal, ancien chef des renseignements, a été prompt à déclarer sur CNN que « les relations entre les deux pays doivent être revues ». Côté américain, le président Obama, se confiant à la BBC, a choisi de remuer le couteau dans la plaie saoudienne en affirmant clairement que « ce serait une erreur que d'envoyer des troupes étrangères en Syrie pour renverser le régime d'Assad ». Le président américain a choisi d'insister sur ce point tout en sachant que c'est le sujet qui a le plus contribué à la frustration des Saoudiens et que ceux-ci ne lui pardonneront jamais de n'être pas intervenu en Syrie pour les soulager de la présence de Bachar Al-Assad et de son régime. Voilà où en sont les relations américano-saoudiennes aujourd'hui : « tu m'humilies, je te frustre ». Les Saoudiens regretteront peut-être un jour d'avoir humilié le président Obama. Car, même s'ils visaient la personne qu'ils ne portent pas dans le cœur, c'est la plus haute fonction de la plus grande puissance du monde qu'ils ont humiliée. Ils ont pris de gros risques. Le royaume saoudien peut afficher impunément son arrogance avec le Yémen ou la Syrie ou le Liban, mais pas avec les Etats-Unis, un pays qui l'a protégé pendant 80 ans; un pays où des milliers d'Américains lui font assumer la responsabilité des attentats meurtriers du 11 septembre et attendent impatiemment le jour où ils le traîneront en justice; un pays où le royaume a 750 milliards de dollars d'investissements qui peuvent à tout moment être gelés par une simple décision de justice. En faisant le choix de l'arrogance face à la puissance américaine, les Saoudiens ont peut-être fait le calcul qu'il ne reste plus que quelques mois pour l'actuel président, qu'Hillary Clinton est sur la bonne voie et dès qu'elle fait son entrée à la Maison-Blanche les relations américano-saoudiennes retrouveront leur âge d'or, les relations américano-iraniennes retrouveront leur tension habituelle et les B-52 américains enterreront Bachar et son régime sous les décombres de Damas. C'est sans doute le rêve secret du royaume wahhabite, un rêve qui pourrait aussi bien se transformer en cauchemar si Donald Trump était le vainqueur. Mais le plus dangereux pour le royaume, c'est l'humeur de plus en plus anti-saoudienne qui prévaut aux Etats-Unis. Ron Paul, homme respectable et respecté, ancien représentant du Texas au Congrès, reflète bien ce malaise de plus en plus pesant que ressentent les Américains à l'égard du royaume saoudien. Prenant au mot le prince Turki Al Faisal qui exige la révision des relations entre les deux pays, Ron Paul écrit : « Il se trouve que je suis d'accord avec le prince Faisal. Cela fait bien longtemps que nous avons besoin de cette révision de nos relations. Nous n'avons aucun droit de dicter aux Saoudiens la manière dont ils doivent diriger leur pays. Cela dit, il est temps de se rendre à l'évidence que l'arrangement spécial qui a duré des décennies doit maintenant prendre fin. Nous ne devons plus permettre le transfert d'armements américains à une Arabie saoudite qui massacre les civils au Yémen, fournit armes et munitions à l'Etat islamique et autres extrémistes en Syrie et ailleurs, décapite ses propres citoyens pour des offenses mineures, finance le terrorisme à l'étranger et menace d'autres pays dans la région. Les Américains ne sont plus tenus de garantir la sécurité du royaume saoudien. (...) Si le gouvernement saoudien est impliqué dans les attaques du 11 septembre, il ne doit bénéficier d'aucune immunité de la part de la justice. Et tant pis si cela implique que des représailles seront décidées par d'autres pays subissant des dommages causés par la politique étrangère américaine. » Avec un tel bouillonnement anti-saoudien aux Etats-Unis, les stratèges du royaume auraient été mieux inspirés d'adopter un profil bas, plutôt que de se comporter avec arrogance, ce qui risque d'avoir un effet boomerang dévastateur.