Trompés par des agents véreux, mal conseillés, incapables de coller à leur nouveau mode de vie, ne parvenant pas à évoluer mentalement et à prendre conscience des exigences quotidiennes du haut niveau, les joueurs tunisiens ne réussissent pas dans le football professionnel. Le chiffre est fort et devrait marquer l'imaginaire de ceux que la question concerne ou intéresse. 70 % des footballeurs africains, dont une grande partie des Tunisiens, ratent leur reconversion dans le professionnalisme et spécialement dans les championnats européens. Ce n'est pas nouveau : le rêve de ces footballeurs est bien souvent d'atteindre l'Europe. En particulier l'un de ses grands championnats que sont la Liga (Espagne), la Premier League (Angleterre), la Série A (Italie), la Bundesliga (Allemagne) et la Ligue 1 (France). Pourtant, peu y parviennent. Le continent africain reste quand même le plus représenté dans les clubs professionnels. C'est ce qu'il en ressort de la plupart des études menées où des spécialistes avaient notamment examiné l'origine des footballeurs expatriés. Le football moderne en serait tenté de le confirmer: le joueur d'aujourd'hui et de demain est, et sera, africain. Parce qu'il est censé être plus vite, plus loin, plus haut, plus fort. Mais aussi et surtout plus vendeur... On peut penser que la justification est franche. Les indemnités de transferts sont très en deçà du marché européen. Les footballeurs africains sont « bon marché » et grands sont les espoirs de plus-values pour les clubs acquéreurs. L'exemple type est Michael Essien, arrivé pour 50.000 dollars au SC Bastia en 2000, en provenance du Liberty FC Accra, qui sera revendu 11,75 millions d'euros à l'Olympique Lyonnais en 2003, puis pour 38 millions d'euros à Chelsea en 2005. Cela amène les recruteurs à considérer davantage les footballeurs ayant le meilleur rapport qualité/prix. Un autre facteur, non moins important, peut également être mentionné pour expliquer la présence de joueurs africains en Europe : le style de jeu. Beaucoup de championnats, comme celui de l'Angleterre, sont reconnus comme des compétitions où le physique est prépondérant. Les joueurs africains sont souvent qualifiés, à tort ou à raison, comme des joueurs physiques. Une histoire qui date, il est vrai, de longues années et qui revient à poser la question: est-ce que l'évolution du jeu n'aurait-elle pas favorisé l'émergence d'un profil de joueurs bien déterminé? Les joueurs africains sont-ils les élus de ce système ? Une histoire qui raconterait aussi l'obsession pour le combat physique. Le profil du joueur de football moderne, c'est un coureur de 400 mètres. Le football moderne aurait ainsi besoin, selon beaucoup de techniciens même de renom, de joueurs rapides qui puissent conserver l'avantage quand une équipe réussit un décalage. On s'intéresse de plus en plus au couplage puissance-vitesse, ce qu'on résume par le mot « explosivité ». Une qualité devenue incontournable, à la fois conséquence et instrument de l'évolution globale du jeu. Il est donc logique que le profil du joueur de haut niveau ait changé. On voit bien que la force physique est en train de modifier la donne. A ce petit jeu, le joueur africain, entre sa qualité individuelle et la mythologie qu'on lui associe, est devenu le produit de tête de gondole. On prend de plus en plus des athlètes en essayant d'en faire des joueurs de football. Le profil demandé Mais d'une façon générale, on continue toujours à chercher ailleurs le joueur que l'on ne possède pas chez soi. Les clubs européens sont souvent intéressés par deux profils types. L'attaquant vif et rapide et le défenseur, milieu défensif axial qui va s'imposer physiquement. C'est le stéréotype du joueur qui va réussir en Europe. Son talent s'exprimera grâce à sa vitesse et son explosivité. La coupe d'Afrique des Nations (CAN) est un marronnier bien connu des amateurs de transferts de joueurs. Elle représente une saignée pour la plupart des clubs européens. Mais les joueurs tunisiens ne sont pas trop demandés, et encore moins sollicités. Il y a le symbole, la représentativité. Il en va aussi de l'image du football tunisien, de ses instances, de ses clubs, de sa sélection, des centres de formation. A l'exception de quelques réussites, façonnées par des profils bien déterminés et dans des contextes bien particuliers, le taux d'échec est plus important chez les joueurs tunisiens. Ceux qui sont parvenus à faire de leur reconversion une carrière se comptent sur les doigts. Il y a ceux qui ne sont pas suffisamment médiatisés et dont la carrière remonte à un passé lointain. On évoquera à ce propos Mokhtar Ben Nacef, Noureddine Diwa, Hamadi Henia, Tawfik Belghith. Puis Temime Lahzami et son fameux passage à Marseille. Entre-temps, un certain Jamel Limam, dont le passage au Standard de Liège a fait couler beaucoup d'encre. Puis vint le temps de Hatem Trabelsi et sa grande ascension avec Manchester City et l'Ajax, mais aussi et à un moindre degré Radhi Jaidi et Karim Hagui. Le plus récent est Aymen Abdennour et son actuel passage à la Liga, et qui continue à attirer les clubs et les recruteurs. D'autres joueurs tunisiens avaient tenté la même expérience, mais la plupart n'ont point réussi à mettre leur empreinte là où ils étaient passés. Trompés par des agents véreux, mal conseillés aussi par leurs propres parents, incapables de coller à leur nouveau mode de vie, ne parvenant pas à évoluer mentalement et à prendre conscience des exigences quotidiennes du haut niveau, ils ne pouvaient réussir dans le football professionnel. C'est tout un travail, notamment en dehors du terrain. Des facteurs d'adaptation, culturels aussi, les avaient empêchés d'émerger. Le contrôle et le suivi médicaux, devenus au fil du temps un critère déterminant dans le choix des joueurs, ont été aussi pour beaucoup dans l'échec de ceux passés au professionnalisme. La plupart étaient les victimes de l'illusion de la réussite par le football moderne. Ils sont restés trop tunisiens et peu européens. Ils ont oublié, et d'autres oublient encore, que lorsque les clubs européens achètent des joueurs, ils réfléchissent déjà et en premier lieu aux opportunités de revente. Ils sont carrément adeptes de la thèse industrielle (matière première-transformation-vente du produit fini).