Par M'hamed JAIBI Déboulonnée hier, la statue équestre de Bourguiba s'apprête à quitter La Goulette pour Tunis-centre, un voyage qui avait été interdit, le 1er juin 1955, par les autorités du protectorat français qui craignaient alors — ou faisaient mine de craindre — que les habitants de la ville «européenne» ne ressentent cela comme une provocation, à un moment où il s'agissait de convaincre les ressortissants d'origine européenne qu'il n'était question que d'«autonomie interne». Juché sur son cheval historique qui avait dû rejoindre Bab Saâdoun et Bab Souika grâce à un détour par La Marsa, Gammarth et Raoued — alors zone militaire — le leader de l'indépendance va retrouver, dans quelques jours, et après plus de vingt ans d'exil (encore un !), son emplacement originel à l'épicentre de la capitale. Mais Bourguiba sera désormais à la place 14-Janvier (et non plus place d'Afrique), de quoi rassurer les plus zélés de la révolution, sachant que le retour de cette statue à sa première adresse avait déclenché une tempétueuse polémique auprès d'une certaine opinion alors hostile à Bourguiba et à son retour au-devant de la scène, en tant que symbole de l'indépendance et de l'édification de l'Etat souverain moderne. Mais le retour de Bourguiba n'est plus vraiment ressenti comme la victoire des uns contre d'autres, mais plutôt comme la victoire de tous contre les divisions et les clivages historiques et idéologiques. Interdit par le protectorat qui voulait diviser, le voyage de Bourguiba sur son cheval triomphant signe, aujourd'hui, la réconciliation à laquelle appellent tant de Tunisiens désormais charmés par la cause du consensus. Même si tant d'équivoques restent à désamorcer et tant de critiques à clairement exposer.