Par M'hamed JAIBI Le petit rassemblement organisé, il y a trois jours, par un syndicat libre de sages-femmes aux abords du ministère de la Santé, revendiquant un statut spécifique pour ce métier, mérite que l'on se penche sur la problématique, non pas comme une simple revendication de corporation, mais sous un angle de santé publique. Insuffisances et souffrances Allez jeter un coup d'œil du côté des maternités publiques, notamment dans les régions lointaines, pour scruter les insuffisances et les souffrances. Vous serez édifié sur l'urgence d'une réflexion sur la nécessaire réforme qu'attend le métier de sage-femme. Un métier à part entière pris dans l'étau des contraintes budgétaires et des égoïsmes corporatistes. A un moment où tout le monde reconnaît le manque de médecins spécialistes dans les zones non côtières, notamment les gynécologues. La sage-femme n'est pas une infirmière et ne peut non plus prétendre remplacer le médecin gynécologue ou le concurrencer. Sa mission est de relayer ce dernier en accompagnant les femmes enceintes tout au long de leur grossesse. Un rôle qui demande des compétences à la fois médicales, sociales et psychologiques. Et un rôle qui nécessite à la fois une revalorisation professionnelle et sociale, et une meilleure formation. N'oublions pas qu'il s'agit d'une profession à vocation libérale. Une «profession médicale» Les sages-femmes aiment à insister sur le fait que leur profession est considérée comme «médicale», ce qui ne plaît pas trop aux médecins, hantés par les risques de débordement vers l'«exercice illégal de la médecine». En fait, la sage-femme exerce deux prérogatives habituellement réservées au médecin : elle diagnostique et elle prescrit des ordonnances. Sans oublier qu'elle pratique certains actes médicaux. En France, la profession de sage-femme est une «profession médicale spécifique» minutieusement réglementée par le code de la santé publique et par le code de déontologie propre aux sages-femmes. On dit que la sage-femme (ou s'il s'agit d'un homme, le maïeuticien) est le «spécialiste des grossesses normales». Ce qui ne veut pas dire que les grossesses normales peuvent se passer de gynécologue. La sage-femme prend en charge la femme enceinte, du constat de la grossesse jusqu'au jour de l'accouchement. Sachant qu'elle travaille en étroite collaboration avec les médecins spécialistes et en premier lieu le gynécologue. Un important rôle de suivi Au fil des mois, alors que la porteuse du bébé se plaint, s'interroge, s'angoisse, sa sage-femme la conseille, l'oriente au quotidien, s'occupe des séances de préparation à la naissance, lui fait faire des exercices de relaxation, de sophrologie ou de yoga..., prescrit ou effectue les examens indispensables, surveille la croissance du fœtus, guette les anomalies et minimise les risques, tout en en référant, le cas échéant, au gynécologue. De sorte qu'en l'absence de celui-ci, elle est responsable du déroulement de l'accouchement et se doit de poser le diagnostic du début du «travail», dont elle est tenue de suivre l'évolution. Avec l'aide des technologies récentes (comme l'échographie ou le monitoring), et en l'absence du gynécologue, c'est à elle d'assurer l'accouchement. Mais elle est strictement tenue, en cas de complications, de faire immédiatement appel au gynécologue. De même qu'elle prend en charge le bébé à sa naissance, surveille le rétablissement de la maman et la conseille pour les premiers gestes à l'égard du bébé. Cela en France et dans la plupart des pays développés. Les singularités tunisiennes En Tunisie, le choix d'un cursus universitaire de trois ans (contre cinq en France et dans plusieurs pays) a handicapé la profession de sage-femme tout en allégeant le budget réservé par la santé publique à celles qui font le choix de ce noble métier. Nos sages-femmes sont ainsi des techniciennes supérieures tout comme plusieurs corps d'auxiliaires de santé. Mais cette profession qui implique de lourdes responsabilités et des conditions de travail contraignantes (horaires très irréguliers, gardes de nuit, beaucoup de stress...) exige aussi une formation de haut niveau qui n'est actuellement pas vraiment assurée chez nous. Et nos sages-femmes le savent, elles qui ont effectué trois ans après le bac truffés de stages. Elles revendiquent aujourd'hui une revalorisation de leur statut assortie de formations complémentaires et d'un recyclage adéquat. Elles souhaitent un statut particulier et le droit à un ordre professionnel. Une sorte de mise à niveau avec l'Europe. C'est concevable et c'est utile à la santé publique. A condition d'y consacrer la réflexion utile.