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Reportage | Zarzis, ville du sud qui regarde vers le nord
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 12 - 2022

Le bus nocturne de la compagnie régionale s'arrête à Zarzis au petit matin après un trajet de plusieurs heures pour arriver de la capitale Tunis à cette ville de plus de 75 000 habitants. Des taxis attendent les passagers en partance vers les différentes localités. Au centre-ville, le visiteur est d'abord frappé par le nombre de banques et bureaux de change, concentrés dans un petit territoire. À Zarzis, il est rare de trouver une famille dont un des membres n'est pas installé en Europe. Une ville qui vit en grande partie grâce aux transferts d'argent effectués par cette diaspora très attachée à la terre mère.
Dans les cafés de Zarzis, on parle de l'exploit de l'équipe du Maroc, de la déception de Ronaldo, du génie de Messi, ou des résultats de l'Espérance Sportive de Zarzis, mais jamais d'élections. Derrière leur amabilité et leur courtoisie habituelle, les « Accara » (nom attribué aux habitants de Zarzis) ont du mal à dissimuler la tristesse, mélangée à une résignation face à une situation qui leur échappe.
Le mystérieux naufrage le 21 septembre 2022 d'une embarcation de migrants originaires de la ville et les péripéties interminables qui ont suivi le drame marqueront pour toujours les esprits. Walid, Zaher, Seifeddine, Ahmed, Louay, Mohamed Aziz et tous les autres passagers du 18 / 18 sont bien connus des habitants. « Si je ne connais pas l'un d'eux, je connais forcément son père ou ses oncles », nous explique un pêcheur au nouveau port de Zarzis, tout en continuant à s'appliquer dans la préparation des filets de pêche.
« Je brûle de l'intérieur »
« Nous sortirons probablement demain, la mer est bonne », dit fermement aux marins Wahid Jammour, le capitaine d'un bateau de pêche baptisé « Haj Djilani ». Fort de ses 30 ans d'expérience en mer et notamment en plongée sous-marine, il fait partie de ces dizaines de marins, qui se sont portés volontaires pour tenter de retrouver «des rescapés ou les corps des victimes», quelques heures après la confirmation du drame. Le jour de la tragédie, le temps n'était pas propice à la navigation. D'ailleurs, ce jour-là et les jours qui suivent les pêcheurs n'étaient pas en mer.
« Nous avons répondu présent à l'appel de l'association des pêcheurs, vu que nous connaissons chaque recoin de cette mer que vous voyez», nous explique Wahid qu'ajoute : « Nous connaissons les mouvements des différents courants, et nous avons littéralement fouillé la mer ».
Sur son smartphone, Wahid nous montre le corps sans vie d'un homme, flottant en mer. Il s'agit de l'une des victimes du 18/18 qu'il a lui-même pu repérer lors des opérations de recherche.
« J'ai trouvé, à l'est de Zarzis, un corps tout gonflé flottant à la surface, face contre mer, impossible de l'identifier », raconte Wahid. Ce n'est évidemment pas la première fois de sa vie qu'il retrouve le corps d'un migrant en mer. Il en a repêché des dizaines au cours de sa carrière. Mais ce naufrage, celui du 18/18, l'a particulièrement marqué. « Je brûle de l'intérieur, pour ces jeunes qui ont perdu la vie ! Je ressens ce que ressentent les parents de ces gamins, confie le capitaine. Mes deux enfants ont eux aussi traversé clandestinement la Méditerranée et sont arrivés en France il y a quelques années. Si je suis atteint aujourd'hui par le diabète à 50 ans, c'est en raison de leur départ ».
Non loin de là, près du quartier juif de Zarzis, plusieurs tentes sont installées. Sur les murs du siège de la délégation, sont accrochés les photos et les noms des victimes de la tragédie. Assis sur des chaises en plastique, plusieurs hommes discutent. Ce sont les proches et les parents des victimes et des disparus. Pour ces familles, il est très difficile de faire le deuil tant qu'ils n'ont pas une vue sur le tableau dans son ensemble. Ils attendent l'enquête toujours en cours, pour être informés du récit, sans « faux raccords », de ce qui s'est passé depuis le départ de l'embarcation.
La vérité, rien que la vérité
Le regard vide, Selim Zridet, le papa de Walid, s'assoit, cigarette à la main. Son fils, à peine 15 ans, fait partie des enfants dont le corps est toujours introuvable. Sa peine est immense. S'il est convaincu à 90% que son enfant n'est plus de ce monde, il ne sait pas encore comment il peut faire correctement son deuil.
« C'est à contrecœur et froidement que je reçois les condoléances des proches et des voisins, je ne sais pas faire mon deuil, d'ailleurs, aux yeux de l'Etat, mon fils est encore vivant, et je souhaite que les responsables nous disent enfin ce qui s'est passé, car il existe encore beaucoup de zones d'ombre », explique Selim qui travaille dans le bâtiment.
Ce n'est que quelques heures avant le départ macabre de l'embarcation que le papa a compris que son fils était déterminé, il était alors trop tard pour l'en dissuader.
« La génération de mon fils ne parle pas beaucoup, elle a ses propres codes, et le dialogue avec les adultes est quasiment rompu, poursuit-il. Mon fils, avec ses amis, a pour quartier général le toit d'un bâtiment désaffecté, où ils passent leur temps à discuter. Mon fils a abandonné l'école très tôt».
Walid ne semble avoir manqué de rien, mais très tôt et bien qu'il n'ait pas été mauvais à l'école, il regardait de l'autre côté de la Méditerranée. « J'ai toujours su qu'il partirait un jour », lance son papa, les yeux mouillés.
Au lendemain du drame, après avoir signalé la disparition de leurs proches et la découverte des premiers cadavres en mer, les familles ont surtout été frappés par la passivité des autorités et déstabilisés par le nombre d'informations contradictoires fournies. C'est l'association locale des pêcheurs qui a pris les devants pour entreprendre les recherches, alors que les autorités avaient affirmé que les voyageurs d'un jour étaient en Libye.
« La Cnss me fait encore des virements pour mon fils, nous dit Selim. Soit je suis en train de prendre de l'argent de manière illégale, soit les autorités ont des informations que je n'ai pas ».
Debout, Kamel Ben Romdhane, marin-pêcheur et membre fondateur de l'association des pêcheurs de Zarzis, écoute attentivement Selim. Un récit qu'il a entendu des dizaines de fois depuis le drame. Depuis près de 90 jours, Kamel vit quotidiennement aux côtés des familles, pour les soutenir, mais aussi pour les aider à découvrir la vérité. « C'est le plus grand drame que j'ai vu dans ma vie depuis plus de 20 ans, témoigne Kamel Ben Romdhane. Personne ne peut me convaincre de l'histoire classique d'un bateau de migrant qui fait naufrage en mer. La mer est un roi qui n'engloutit pas les cadavres, au plus tard un mois ou un mois et demi, il rejette même les os. Je suis persuadé qu'il y a eu un incident en mer et on a cherché à dissimuler la vérité. Nous avons des doutes que nous ne pouvons pas confirmer faute de preuves. L'éparpillement géographique des cadavres trouvés suscite énormément de doutes sur la réalité de ce qui s'est passé ».
« Jardin d'Afrique », un cimetière à mille et un secrets
Mais pour ce marin-pêcheur invétéré, un autre dossier doit être traité avec rigueur, celui du cimetière baptisé «Jardin d'Afrique» par ses fondateurs, et plus connu sous le nom de « Cimetière des inconnus ». Pour lui, il se pourrait même que ce soit à partir de cet endroit que l'énigme pourrait être résolue.
« Ce cimetière est un vrai mystère, explique-t-il. Comment peut-en créer un cimetière qui n'est pas sous la tutelle des autorités, et y enterrer qui on veut, sous prétexte que ce sont des inconnus. Ces gens sont d'abord des êtres humains. Ensuite, qu'est-ce que cela signifie ? Qu'on peut tuer quelqu'un, le jeter à la mer, prétendre que c'est un migrant non identifiable et l'enterrer sommairement ? La loi est claire, on ne peut normalement inhumer une personne dont la mort est douteuse sans qu'il y ait eu au préalable un passage sur la table du médecin légiste. Et puis même si ces corps étaient ceux d'inconnus, ne fallait-il pas créer une base de données avec les ADN ? Chaque pays pourra un jour demander des comptes et chercher ses ressortissants ».
Sur la route de Ben Guerdane, au bout d'une piste, apparaît le cimetière, comme de nulle part. Bien entretenu, le cimetière ravirait un touriste non informé de la situation. C'est dans cet endroit que des familles, alors qu'elles les cherchaient en mer depuis plusieurs jours, ont pu exhumer des corps appartenant à leurs proches.
Partir coûte que coûte
De retour sur les quais exigus du nouveau port de Zarzis, nous retrouvons les marins, encore en train de coudre les filets et préparer le prochain voyage. Sur l'un des navires de pêche, Hédi, 18 ans, aide son père dans sa tâche.
Devant son père, sans hésiter une seule seconde, le regard déterminé, il explique qu'il attend le bon moment pour traverser la mer clandestinement et rejoindre les côtes italiennes. « Dès que j'arrive à réunir l'argent nécessaire je partirai », dit-il déterminé. Lorsqu'on lui parle des risques, Hédi, toujours sûr de lui, nous explique qu'il suffirait de prendre le large lorsque la météo est bonne. « Ceux qui font naufrage ne savent pas choisir le moment opportun », ajoute-t-il.
« J'ai beaucoup d'amis d'enfance qui ont réussi la traversée, certains sont actuellement en France. Je n'ai rien à faire ici, je ne peux rien construire, je ne peux pas envisager ma vie ici, même si je travaille comme un forcené, je ne réussirai jamais à m'acheter une voiture ou à construire une maison. Je veux pouvoir travailler dignement et envoyer de l'argent à ma famille », précise Hedi, sous le regard résigné de son père. « Je dis ça devant mon père mais pas devant ma mère, car je sais qu'elle ne supportera pas mon départ », avoue Hédi.
Ali, son père, connaît son projet, même s'il ne le prend pas au sérieux. « Tous les gamins de cet âge ne pensent qu'à partir. Je ne crois pas que Hédi parte un jour, je le surveille constamment, et je fais tout pour qu'il ne manque de rien ici ».


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