Cela se passe comme dans un passé orageux. Mais tous les événements sont fictifs et les personnages sont imaginaires. L'auteur s'est imprégné du parfum d'une époque pour affirmer une conviction: l'histoire est à nous, c'est le peuple qui la fait. Un film tunisien en tournage, c'est toujours un événement. Mais «Rizk el bey lik» ou «L'héritage du Bey t'appartient», dont le premier tour de manivelle a été donné il y a quatre semaines, est un double évènement : il est le premier long métrage tunisien de fiction produit par IMF (International Monastir Film), en la personne de Ridha Turki — connu pour être un prestataire de services important pour les films étrangers — et le deuxième long métrage réalisé par Habib M'Selmani depuis «Sabra wa el wahch» (Sabra et le monstre), sorti en 1986. Il ne faut surtout pas oublier que «Rizk el bey lik» a été écrit par feu Nacer Kasraoui. Ce dernier devait lui-même le mettre en images, mais la mort l'en a empêché. Ayant déjà obtenu l'aide à la production en 2013, le producteur a tenu à honorer ses engagements, en choisissant l'un des rares réalisateurs capables de tourner un film d'époque, en moins de temps — faute de moyens — et avec cavalerie et batailles. M'Selmani était prêt à relever le défi. Après avoir retouché le scénario avec l'aide de Jalel Eddine Essadi, comédien et auteur, le réalisateur a entamé sa préparation. Les costumes de l'époque beylicale ont été recréés ainsi que les décors du palais. Quant au casting, le réalisateur avoue qu'il a préféré s'entourer de comédiens professionnels, plutôt que de novices. Mais les premiers rôles ont été quand même donnés à Sarra Hlaoui (alias Nejma), et Laroussi Zbidi (Hlal), jeunes ressortissants de l'Isad (Institut supérieur d'art dramatique). Le film, écrit dans le genre comédie musicale, raconte la révolte de villageois humiliés par ceux qui représentent les autorités du Bey. Ce dernier, qui donnerait son royaume pour un cheval, décide de mettre la main sur celui du cheikh du village, provoquant la haine et la rébellion. Boudher Jeudi 19 mai 2016. Nous nous dirigeons vers Boudher, un village situé à 36 km de Mahdia. C'est là où l'équipe s'est déplacée, il y a deux semaines, pour filmer, entre autres, le retour de Nejma qui a été kidnappée par les cavaliers du Bey. Que c'est bon de retrouver des visages connus parmi les techniciens. Il y a les Dhaoui, Haddad, Lakhoua, Koundi et tant d'autres qui en ont vécu des tournages et des tournants. Parmi eux, il y a des jeunes dans des départements importants, tel que celui de l'image. «Ils font leur premier film, et cela fait partie du défi», affirme Habib M'Selmani. Le plateau est peuplé de figurants et de curieux, pour lesquels un tournage est synonyme de fête au village et de source d'emplois. Hors champ, on perçoit quelques visages super connus de la télévision dont Ali Khémiri (alias le cheikh du village), Wahida Dridi, (mère de Nejma) et Jalel Eddine Essadi (Balaout, le mouchard du Bey) qui attendent patiemment leur tour de passer devant la caméra. Entre deux changements d'axe, une femme du village apporte un grand couscous qu'elle offre à l'équipe. «C'est ainsi, depuis que nous sommes à Boudher» nous dit Rita Dhaoui, une des rares femmes qui assurent le poste de directrice de production au cinéma tunisien. Et le producteur d'ajouter : «Les habitants du village font ce qu'ils peuvent pour nous faire oublier les mésaventures des premiers jours de tournage sur ce plateau». Ridha Turki et son bras droit nous racontent que des «énergumènes» ont envahi le plateau et ont menacé de mettre le feu aux décors si on ne les emploie pas dans le film. La menace était sérieuse, mais les commandos sont intervenus et ont arrêté, après poursuites et enquêtes, les malfaiteurs apparemment accros à l'alcool et à la drogue. Depuis, les femmes du village essayent de sauver la face, en gâtant l'équipe avec des mets délicieux. Quant à leurs hommes, ils font de leur mieux pour protéger le plateau. Un vent froid souffle sur la terre battue et emplit l'air de poussière. A Boudher, le climat est différent. C'est encore l'hiver dans ce beau petit village perché, mais défiguré par les nouvelles bâtisses en briques et en béton. Seuls les murs patinés pour les besoins du film rappellent le charme de ce lieu imprégné d'histoire. Et pourtant ça tourne ! La jeune assistante, cheveux au vent, demande le silence. On tourne le plan suivant où Hlal arrive, on lui tire dessus et il tombe de son cheval, terrassé par sa blessure. On fait plusieurs prises, car l'acteur joue lui-même la chute. Pas de doublure et pas de cascadeur dans un film qui n'a pas les moyens de ses ambitions. Il y a risque d'accident. Et un accident est vite arrivé. Le vent froid ne cesse de souffler. Nous quittons le plateau à la recherche d'un abri et nous profitons de la disponibilité d'Ali Khemiri pour un bref entretien. Le refuge, c'est la maison d'à côté, transformée en bureau de production, salon de maquillage et de costumes. Après échange de vieux souvenirs de tournage, l'acteur nous informe qu'il débarque à peine d'une série télévisée sur les compagnons du Prophète, réalisée par Anouar Ayachi. Derrière son calme apparent, Ali refoule une colère contre les gens du domaine de la fiction télévisuelle, qui, en faisant leurs castings, se basent sur le copinage et les pistons. D'ailleurs, cela fait deux ans qu'on ne l'a plus revu sur le petit écran. Mais l'artiste avoue être très heureux de jouer dans «Rizk el bey lik», un film dont il est fier et qui constituera, dit-il, un tournant dans l'histoire du cinéma tunisien. Pour l'équipe, la journée finit à 20 heures. Juste le temps de dîner et de dormir pour être en forme le lendemain. Car 70% du tournage a eu lieu pendant la nuit. «Ce métier est fatigant, mais ô combien stimulant pour la santé psychique et physique», avoue Radhia Haddad, maquilleuse, qui n'a pas sa pareille dans le maquillage et la coiffure d'époque et qui débarque à son tour du tournage d'un pilote libanais. Le lendemain, on tourne avec Nejma et les trois cavaliers. Ces derniers vont obliger les villageois à payer leurs taxes. Nous rejoignons le plateau l'après-midi, juste le temps d'avoir un peu plus d'informations, de jeter un coup d'œil sur les costumes d'époque créés par Lilia Lakhoua et de bavarder un peu avec l'un des cavaliers, Salah Jday. Cet acteur, dont le visage est très familier pour les gens du village, se retrouve, entre deux plans, à se faire prendre en selfie par les admiratrices. Ne se contentant pas de son diplôme de l'Isad, Salah nous apprend qu'il a choisi de faire une licence appliquée dans une école de cinéma à Tunis. C'est ainsi qu'il a commencé à réaliser des films documentaires. Avant de venir jouer dans «Rizk el bey-lik», il était en plein montage de son cinquième film intitulé «Gool !» (Dis !), qui parle de la poésie et du chant populaires. Au mois de ramadan, on entendra sa voix dans un feuilleton radiophonique réalisé par Mohamed Ali Belhareth. Il ne reste plus beaucoup de temps pour la fin du tournage prévue pour le 28 de ce mois. Après avoir été à la forêt de La Chebba, au Borj de Mahdia, à Dar Zouila et au village Essafet, l'équipe de l'IMF s'installera dans une carrière d'argile et sur les collines de Tayra, un village du gouvernorat de Monastir.